Les soignants sont épuisés, à bout de souffle, ils ne veulent plus se contenter d'applaudissements, ils ne veulent plus de formules rhétoriques ou technocratiques, ils ne veulent plus de promesses, ils attendent de nous des actes. C'est ce que je vous propose aujourd'hui.
Les règles édictées par l'article 40 de notre Constitution empêchent malheureusement les députés de proposer directement une loi qui augmenterait massivement les salaires et les effectifs à l'hôpital public et dans les EHPAD. C'est pourtant ce que nous attendons évidemment du Gouvernement dans la future loi de programmation que nous vous soumettons.
Nos propositions ne datent pas d'aujourd'hui. Il ne s'agit ni d'opportunisme ni d'une simple réponse à l'actualité. En 2018, les parlementaires du groupe de la Gauche démocrate et républicaine ont réalisé un tour de France des hôpitaux et des EHPAD. Pour rappel, nous avons visité 160 établissements en France métropolitaine mais aussi en outre-mer. De ce tour de France, nous avons tiré de nombreuses mesures, coécrites avec le personnel hospitalier et retranscrites pour la plupart dans une proposition de loi.
La colère légitime s'exprime, établissement par établissement, mais aussi dans les manifestations et les rassemblements. Les cris de colère, les cris d'alerte n'ont malheureusement toujours pas été entendus.
En 2018, nous avions sollicité un entretien avec le Président de la République afin de lui présenter des mesures qui, déjà à cette époque, étaient plus qu'urgentes. Cette demande est malheureusement restée lettre morte. Nous voilà aujourd'hui presque deux ans plus tard, et une pandémie est tristement venue nous rappeler, une nouvelle fois, ce que nous devons à nos hôpitaux, à nos EHPAD et à eux qui y travaillent.
Force est de constater que le même Président de la République, qui n'avait pas souhaité nous recevoir, il y a deux ans, a annoncé, dans son allocution de dimanche dernier, une relance pour la santé, qui vise non seulement à revaloriser les rémunérations des personnels soignants, mais aussi à transformer l'hôpital comme la médecine de ville grâce à des investissements nouveaux et une organisation plus efficace et préventive. Mais, concrètement, que devons-nous comprendre ? Quels investissements et quand, madame la secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé ?
Contrairement à ce que vous craignez peut-être, la proposition de loi ne s'inscrit aucunement dans une démarche d'opposition vis-à-vis du Ségur de la santé. Nous n'avons pas besoin de nouvelles tables rondes, de nouvelles réunions, de nouvelles concertations ; d'innombrables rapports existent, ils se succèdent, ils se ressemblent, et bien souvent finissent leur vie dans les armoires. Le constat est connu et archiconnu. Nous savons ce que veulent les professionnels de la santé, nous savons ce que veulent les syndicats – ils le répètent sans cesse depuis plus de deux ans. L'heure n'est plus à la remise d'un énième rapport ministériel ou à la constitution d'un énième groupe de travail pour construire le jour d'après ; l'heure est à une volonté politique clairement affichée et à des actions concrètes pour l'hôpital.
La proposition de loi permet d'inscrire dans le marbre de la loi une vision à plus long terme du fonctionnement général des hôpitaux publics et des EHPAD. Écoutez-nous, nous pourrions tous ensemble faire un premier pas afin de remédier à la situation que nous connaissons toutes et tous depuis bien trop longtemps.
Nul ne peut aujourd'hui se permettre une nouvelle occasion manquée. La proposition de loi transformerait en actes concrets toute la compassion exprimée par votre majorité à l'égard des soignants.
Pourquoi demandons-nous une loi de programmation ? Parce que nous sommes persuadés que nous avons besoin d'un engagement fort en faveur des hôpitaux publics et des EHPAD ; parce que nous sommes convaincus qu'ils demandent de la visibilité et ne peuvent plus vivre chaque année dans l'attente anxieuse des coupes budgétaires de l'année suivante.
Notre vie parlementaire est aujourd'hui rythmée par l'adoption de lois de programmation des finances publiques, de lois de programmation militaire et, de façon plus marginale, de lois de programmation pour la justice ou pour la recherche. La santé, qui apparaissait, avant même la crise sanitaire, comme la priorité absolue des Français, doit évidemment elle aussi bénéficier d'une planification à long terme. La santé doit faire l'objet d'un véritable débat. La stratégie nationale à adopter doit être mise en lumière, non pas seulement lors du projet de loi de financement de la sécurité sociale mais à bien plus long terme.
Le Gouvernement s'est engagé, dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale, à une plus grande pluriannualité par le biais de la signature d'un protocole avec les établissements. C'est une bonne chose mais ce protocole ne raisonne qu'en tarifs et en budgets. Nous proposons de raisonner en moyens de santé d'abord et d'adapter le budget ensuite. En effet, trop souvent depuis vingt-cinq ans, nous nous sommes demandés que faire de l'hôpital public à partir des objectifs budgétaires. Nous vous proposons d'inverser la logique en répondant à la question : quel budget pour l'hôpital public pour atteindre nos objectifs sanitaires ?
C'est pour cette raison que nous proposons que ce projet de loi de programmation soit adopté avant le dépôt du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. Nous avons des choix politiques forts à faire dans les mois à venir, avant même de déterminer le cadre budgétaire qui les accompagnera, et non l'inverse.
Lors de sa dernière allocution, le Président de la République a évalué à 500 milliards d'euros les engagements financiers de l'État liés à la crise du covid-19. Cependant, nous ne savons toujours pas combien le Président est prêt à mettre sur la table pour redonner une bouffée d'oxygène aux hôpitaux publics et aux EHPAD. Une fois de plus, les héros et les génies devront attendre.
J'ai bien entendu les remarques formulées par mes collègues lors de l'examen de la proposition de loi en commission des affaires sociales. Nous accordons la même importance que vous à la médecine de ville. Nous savons que les établissements privés jouent aussi, dans certains territoires, un rôle important dans la prise en charge de nos concitoyens. Mais nous ne prétendons pas résoudre, avec ce texte, les problèmes de notre système de santé de manière exhaustive. Il s'agit d'un premier pas, d'une première pierre à l'édifice.
Lors de cet examen en commission, mercredi dernier, vous avez exprimé vos réflexions légitimes sur la gouvernance, la prévention, et d'autres aspects encore. Il aurait été intéressant que vous les formuliez par des amendements. Quoi qu'il en soit, je ne partage pas le constat de certains parlementaires, et j'estime que la priorité de demain, l'urgence absolue, est bien l'hôpital public.
Il est en effet la réponse à bien des maux, ainsi que le refuge immédiat pour nos concitoyens quand ils n'ont pas de réponse de la part de la médecine de ville. Or les conditions de travail se dégradent chaque jour un peu et plus, tout comme, par effet de ricochet, la qualité des soins dispensés.
Nous savons tous que les soignants travaillent dans des conditions de plus en plus difficiles. Faute de moyens financiers et humains, ils perdent du temps pour obtenir du bon matériel ou un lit pour un patient devant être hospitalisé. Ils se battent contre des outils informatiques obsolètes ou contre des logiciels médicaux qui ne sont pas les mêmes d'un hôpital à l'autre.
Chronomètre en main, les soignants ont de moins en moins de temps pour parler aux patients, les réconforter, les rassurer, et ils peinent parfois à effectuer les soins requis. Tous tiennent le même discours et estiment souvent que leur travail n'a plus de sens. Dans le cadre du tour de France des hôpitaux, j'ai entendu, à l'instar de mes collègues, de nombreux infirmiers et infirmières dire : « Ce n'est plus mon coeur de métier. J'ai appris le protocole de la bienveillance et là je suis dans la maltraitance. »
Dès 2018, dans leur rapport sur les EHPAD, Monique Iborra et Caroline Fiat proposaient, de rendre opposable une norme minimale d'encadrement de soixante équivalents temps plein pour cent résidents dans un délai de quatre ans, ce qui reviendrait à doubler le taux d'encadrement. Cette proposition est évidemment très intéressante et nous pensons qu'elle devrait être inscrite dans une future loi de programmation, aux côtés d'un ratio similaire pour les hôpitaux publics. Madame la ministre, une évolution du taux d'encadrement est-elle au menu du Ségur de la santé, et, si oui, à quel niveau proposez-vous de le fixer ?
La France est l'un des pays de l'OCDE qui rémunère le plus mal ses infirmiers à l'hôpital en comparaison avec le salaire moyen, et ne devance que la Finlande, la Hongrie et la Lettonie.