Intervention de Fabrice Angei

Réunion du lundi 6 novembre 2017 à 15h05
Commission des affaires sociales

Fabrice Angei, secrétaire confédéral de la CGT :

Mesdames et messieurs les députés, vous êtes appelés à ratifier ces ordonnances. Mais sont-elles conformes à la loi d'habilitation ? C'est la question que vous devez vous poser. Vont-elles dans le sens de l'efficacité économique ? Simplifient-elles le droit du travail ? Favorisent-elles vraiment le dialogue social ?

En 2017, d'après les chiffres de l'INSEE, 303 500 emplois ont été créés en une année et le PIB a crû de 0,5 % ; la croissance en 2017 devrait atteindre 1,8 %. C'est bien la preuve que la précarisation instaurée par les ordonnances – qui ne sont pour l'essentiel pas encore entrées en vigueur – n'est pas nécessaire pour créer des emplois : c'est l'activité économique qui remplit les carnets de commande et permet les embauches.

A contrario, en Allemagne, le nombre de chômeurs a augmenté pendant les quatre années qui ont suivi les réformes Hartz. Les chiffres sont meilleurs aujourd'hui, mais la baisse du chômage est en réalité due à d'autres facteurs, notamment la compétitivité des PME ; en revanche, la précarité des salariés est énorme, ainsi que le nombre de travailleurs pauvres – au point que le Fonds monétaire international (FMI) tire la sonnette d'alarme. Un copier-coller mènera à une situation identique, ce qui n'est pas souhaitable.

Les mesures qui facilitent les licenciements en font augmenter le nombre – et c'est tout. Le Gouvernement a mis en ligne un simulateur « simple et gratuit » des indemnités dues en cas de licenciement abusif – une initiative plébiscitée par le MEDEF, beaucoup moins par la CGT. Ce qui est recherché, c'est bien de contourner le juge. La barémisation porte atteinte au droit à la réparation du préjudice. Mais elle ne s'applique pas aux licenciements qui violent les libertés fondamentales, ou en cas de harcèlement : il y a donc, selon les juristes, un risque que ce type de contentieux croisse de façon importante.

L'accord d'entreprise l'emportera sur le contrat de travail, la seule contrepartie proposée au salarié étant celle des 100 heures inscrites sur le compte personnel de formation (CPF). Cette solution nous paraît inadaptée, puisque le salarié n'est pas inapte, mais refuse seulement de voir ses droits et ses garanties réduits. On donne aux entreprises le droit d'imposer des conditions nouvelles de façon agressive, un véritable permis de licencier à 3 000 euros – 100 heures à 30 euros chacune.

Mme Descacq disait que les branches étaient confortées. Ce n'est pas du tout notre lecture, puisque de larges dérogations sont prévues. L'exemple des routiers est en effet parlant : il a fallu quelques heures aux syndicats et au patronat pour arriver à un accord ; mais il a fallu une journée entière au Gouvernement pour le valider, car en revenant sur la primauté de l'accord d'entreprise, il déroge bien, en réalité, aux ordonnances. C'est bien la preuve que celles-ci vont amplifier le dumping social – que le patronat du secteur routier, comme les salariés, voulaient éviter.

Nous regrettons que l'appréciation des difficultés économiques d'un groupe se fasse désormais au niveau national, alors que la représentation nationale a voté une loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, et que la France essaie de promouvoir l'idée de responsabilité sociale, économique et environnementale des entreprises au niveau international. Il faudrait au contraire lutter contre le dumping social à l'échelle planétaire.

Je ne développe pas la question du contournement des syndicats, qu'a très bien exposée ma collègue de la CFDT. Il sera donc possible d'imposer un accord sans que les salariés soient accompagnés par un syndicat, sans qu'ils puissent avoir recours à des experts.

Quant au nombre de mandats, je prends l'exemple d'Orange. Le nombre d'heures de délégation demeure identique, d'après le décret. Mais, en 2014, selon les normes légales, cette entreprise aurait compté 2 808 élus, soit un pour 35 salariés ; des accords permettaient de porter ce nombre à 3 184 élus. Avec la loi, ils ne seront plus que 555, soit un pour 180 ! Et je ne parle pas de la perte des délégués du personnel dans les petits établissements. Cette loi va donc pousser à une professionnalisation et à un éloignement du collectif de travail, ce qui est regrettable pour les entreprises elles-mêmes.

Au moment où la parole sur les violences faites aux femmes se libère, la régression que constitue la disparition des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) est particulièrement regrettable. Les ordonnances renforcent le lien de subordination, qui se traduit trop souvent par une domination dont les femmes sont les premières victimes.

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