Intervention de Pierre Jardon

Réunion du lundi 6 novembre 2017 à 15h05
Commission des affaires sociales

Pierre Jardon, secrétaire confédéral, Confédération française des travailleurs chrétiens, CFTC :

Cette réforme du code du travail ne fait pas l'objet d'une négociation interprofessionnelle. Pour autant, nous avons été largement consultés sur les ordonnances, et nous saluons cette méthode qui a permis de vraiment faire valoir nos oppositions, nos craintes, mais aussi nos propositions. Nous avons été entendus sur certaines d'entre elles, ce qui montre bien que cette concertation était loyale. Nous n'avons pas été entendus sur tout, malheureusement, mais nous considérons que la méthode a été bonne.

Notre état d'esprit était de faire en sorte que les effets escomptés par le Gouvernement – faire converger performance sociale et performance économique – soient atteints. Les ordonnances ne suffisent pas à trouver cet équilibre et nous restons très attentifs : nous attendons beaucoup des négociations sur l'assurance-chômage, la formation professionnelle et l'apprentissage, dont nous espérons que les négociations à venir permettront un équilibre avec les ordonnances sur le code du travail.

Sur le fond des ordonnances, la CFTC n'est pas opposée au principe de négocier plus largement dans l'entreprise. Nous considérons que c'est bien au plus proche du terrain que l'on est le plus à même de négocier, en tenant compte des réalités vécues dans l'entreprise. Cette négociation doit s'articuler avec la branche, qui a un rôle de régulation extrêmement important. La branche a pour rôle de préserver le bien commun par la régulation, il ne s'agit pas de laisser les entreprises se faire concurrence par le moins-disant social. D'où l'importance de trouver un juste équilibre entre l'entreprise et la branche.

En cela, les ordonnances clarifient cette situation, avec les fameux trois blocs. Le premier bloc est vraiment le socle dur de la branche, il détermine les treize domaines qui lui sont réservés, soit sept de plus que ce qui était prévu par la loi travail de 2016. Nous considérons donc que la branche se trouve renforcée dans ses capacités de régulation.

Le deuxième bloc comprend une liste de thèmes que la branche peut décider de laisser à la libre négociation des entreprises, ou de verrouiller en exerçant son rôle de régulateur. C'est une bonne chose, mais nous avons un regret : il était pour nous extrêmement important que l'ensemble des primes fasse partie de ce bloc, que les branches aient la possibilité d'évaluer si les primes sont de nature à créer des distorsions de concurrence ou non, donc de décider éventuellement de verrouiller ce point. Nous n'avons été que partiellement entendus, puisque seules les primes pour travaux dangereux ou insalubres ont été retenues. Ce n'est pas suffisant, et certaines branches ont décidé de verrouiller les autres primes en considérant qu'elles font partie intégrante des salaires minima hiérarchiques, qui appartiennent aux domaines réservés à la branche, auxquels les entreprises ne peuvent pas déroger. Nous espérons que les autres branches auront aussi la faculté de considérer les primes au niveau des salaires minima hiérarchiques pour, le cas échéant, lutter contre la dérégulation.

En cas d'absence d'accord au niveau de l'entreprise, c'est bien l'accord de branche qui s'applique. C'est-à-dire que la branche, au-delà des différents domaines qui lui sont réservés ou qu'elle décide de réserver, a un rôle extrêmement important à jouer vis-à-vis de toutes les entreprises qui ne décident pas d'accord. Ce n'est pas parce que les ordonnances permettront aux entreprises de négocier sur tous les sujets qui ne sont pas réservés qu'elles le feront systématiquement. Il faut donc rappeler le rôle extrêmement important des branches dans tous les domaines, puisque quand les entreprises n'auront pas n'auront pas signé d'accord, ce qui sera décidé par la branche s'appliquera.

Nous accueillons aussi avec énormément de satisfaction l'obligation d'intégrer des dispositions spécifiques aux TPE dans les accords de branche. La prise en compte des TPE dans les négociations au niveau interprofessionnel fait énormément défaut. Quand on négocie dans beaucoup de branches où il y a des grosses entreprises, les dispositions ne sont pas toujours applicables dans les TPE. Il est très réjouissant que cette obligation soit inscrite dans la loi, nous tenons à le saluer.

S'agissant de l'unification du régime des accords sur l'emploi, nous regrettons la suppression des clauses obligatoires qui existaient dans les deux autres types d'accord. Les contreparties pour les salariés sont vraiment déséquilibrées, d'autant que ces accords peuvent être passés quelle que soit la taille des entreprises. Cela sera donc possible là où il n'y a pas d'organisations syndicales, sans négocier les contreparties. C'est extrêmement dangereux, nous appelons votre attention sur ce point.

En revanche, nous sommes très satisfaits de l'abondement, par l'employeur, de cent heures sur le CPF, c'était une de nos demandes. Mais ce n'est pas suffisant, nous espérions un accompagnement spécifique au moins équivalent à celui que prévoient les accords de préservation et de développement de l'emploi. L'accompagnement est très important dans ces situations.

Nous partageons ce qui a été dit précédemment de la négociation collective dans les entreprises dépourvues de délégué syndical. Nous ne sommes pas du tout favorables à la possibilité de négocier sans organisation syndicale. On ne peut pas dire qu'il faut des organisations syndicales et des acteurs sociaux formés et compétents, et ensuite prétendre que dans les petites entreprises, on peut négocier sans organisation syndicale. Les salariés, pour le coup, ne bénéficieraient pas de l'expertise des organisations syndicales, de la formation, etc. C'est un non-sens.

Nous étions favorables au mandatement syndical. Il est maintenu, mais il n'est plus obligatoire : il ne sera plus systématique. À défaut d'avoir des organisations syndicales dans l'entreprise, pouvoir négocier avec des salariés qui sont mandatés par des organisations syndicales, sans pour autant être délégué syndical ou élu, permettait au moins d'assurer cet équilibre et de bénéficier de l'expertise de l'organisation syndicale dans la négociation.

Cette proposition n'a pas été retenue, nous le regrettons et nous appelons votre attention sur ce point. Cela étant, nous sommes très pragmatiques quant à l'absence d'organisation syndicale dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Avec les nouvelles possibilités de négocier en entreprise, le mandatement syndical était une vraie réponse.

Nous ne cautionnons pas non plus la possibilité, ouverte aux entreprises de onze à vingt salariés dépourvues d'élus, de soumettre à la ratification du personnel un texte conçu et rédigé par le seul employeur. D'ailleurs, si les ordonnances font référence à des « accords » proposés par l'employeur, il y a un vrai problème sur la notion d'accord, qui suppose qu'il y ait deux parties… En l'occurrence, un texte est proposé par l'employeur, mais on ne peut pas parler d'accord et nous ne comprenons pas pourquoi ce mot est employé dans les ordonnances. Cette mesure est vraiment contraire à l'objectif affiché de renforcer le dialogue social.

Nous ne sommes pas opposés par principe au regroupement des instances, mais nous aurions voulu, comme le prévoyait la loi Rebsamen qui n'a pas eu le temps de produire ses effets, que les entreprises soient libres d'en décider. D'un côté, on fait confiance au dialogue social ; sur ce sujet, on verrouille.

Pour le recours à l'expertise, nous avons des regrets, car les modalités sont insuffisantes. L'augmentation de la subvention du CE ne concerne que les entreprises de plus de 2 000 salariés, ce n'est pas suffisant.

La composition du comité des heures de délégation a été diversement accueillie en fonction de la taille des entreprises. Pour celles de moins de 200 salariés, il y a plutôt moins d'élus et moins de moyens, pour celles de plus de 200, c'est plutôt positif.

Nous saluons l'augmentation du coût des indemnités de licenciement légal, en revanche la barémisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse pose un vrai problème. Nous avons été entendus sur la notion de violation d'une liberté fondamentale, qui permet au juge d'apprécier les choses.

Enfin, nous saluons l'installation du comité d'évaluation des ordonnances travail, ce qui n'avait pas été fait pour les lois précédentes – loi Rebsamen, loi travail de 2016. Il est extrêmement important d'évaluer à l'avenir les différentes lois en matière de réforme du travail.

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