Ainsi, nous sommes accusés d'une « faillite collective » dans la représentativité au sein des entreprises de moins de vingt salariés… Cela ne me paraît pas correspondre à la réalité de la majeure partie des entreprises, même si on peut toujours trouver des contre-exemples. Si nous considérons que la négociation sans intermédiation n'est pas une véritable négociation, mais relève de la simple relation sociale entre un employeur et ses salariés, c'est d'abord en raison de l'existence du lien de subordination, qui fait qu'un salarié n'est pas en mesure, quelle que soit la proximité entre lui et son patron, de s'opposer aux décisions prises au sujet de la rémunération de ses heures supplémentaires ou de la modification de ses horaires de travail, par exemple ; l'autre aspect est celui de la capacité à représenter collectivement ses collègues.
Je ne nie pas que les organisations syndicales portent une part de responsabilité dans la faible représentativité syndicale au sein des petites entreprises – peut-être ne nous sommes-nous pas suffisamment intéressés à leurs salariés. Cela dit, il ne faut pas nier la culture du dialogue social, comme semble le faire le Gouvernement avec les ordonnances. Il aurait pu faire le choix d'inciter les organisations syndicales à être davantage présentes dans les petites entreprises, et de dire aux employeurs qu'une organisation syndicale, ce n'est pas le diable, mais rien d'autre qu'un salarié – et un salarié qui ne sort pas de nulle part, mais travaille au sein même de la société concernée – intervenant afin de permettre à l'entreprise de s'organiser collectivement, ce qui est l'une des conditions de l'émancipation des salariés. En 1968, les sections syndicales ont en effet été créées à partir de l'idée que les salariés possèdent suffisamment d'intelligence et de maturité pour définir entre eux, dans le cadre d'une délibération collective, ce qui leur paraît être la meilleure voie, qu'ils défendent ensuite en ouvrant une négociation avec l'employeur. De ce point de vue, c'est exactement le message inverse que les ordonnances ont envoyé aux deux parties !
Elles ont déjà des conséquences perceptibles, précisément dans ce domaine. Des employeurs qui avaient entamé, sous l'empire des précédentes lois, des discussions avec un salarié mandaté – on m'a cité les cas de pharmacies et d'opticiens – ont, après la publication des ordonnances, appelé les fédérations services ou santé sociaux de la CFDT – deux importantes fédérations, regroupant un grand nombre de petites entreprises – en leur disant : « Vous êtes bien gentils, mais la loi nous permet désormais de nous passer de vous ! ». Selon le Gouvernement – c'est un argument que nous avons entendu dans les concertations organisées au ministère du travail –, les patrons vont bientôt s'apercevoir qu'il est préférable pour eux de négocier avec une organisation syndicale plutôt que directement avec les salariés : on se demande bien pourquoi maintenant, alors qu'ils pensent le contraire depuis cinquante ans !
Le problème de représentativité syndicale en France est peut-être dû au fait que les syndicats ne sont pas assez présents dans les petites entreprises, mais cette situation a elle-même une explication : les employeurs y font la chasse aux organisations syndicales. En 2015, lors des négociations ayant précédé la loi sur la modernisation du dialogue social, il fallait entendre certains représentants d'organisations patronales de petites et surtout de moyennes entreprises, qui n'hésitaient pas à dire : « On ne veut plus de rouges dans nos entreprises ! » – c'est un fait, il se trouve encore des employeurs pour parler comme ça ! À la fin de l'année 2016, à l'occasion des élections professionnelles, nous avons lancé, avec le concours d'un institut de sondages, une grande enquête auprès des salariés des TPE. Il en est ressorti que ces salariés estiment les organisations syndicales utiles car elles les défendent et leur ont permis d'avoir des droits ; pour autant, ils n'en veulent pas dans leur entreprise, craignant la discrimination syndicale – en d'autres termes, ils craignent que leur employeur les voie parler avec un syndicaliste et leur en tienne rigueur ! Je sais que vous avez du mal à entendre cela, mais c'est une réalité, et c'est l'une des raisons qui explique que les syndicats ont du mal à s'implanter au sein des petites entreprises. Force est de constater que le message des organisations patronales a plutôt eu tendance à se radicaliser au cours des dernières années, rejetant la culture du dialogue social et affirmant qu'il est préférable de discuter directement avec les salariés.
Quand on dit que les salariés sont suffisamment matures pour délibérer au sein des sections syndicales qu'ils ont créées et engager ensuite des négociations avec les employeurs, on ne peut manquer de parler des accords de préservation et de développement de l'emploi, et de l'énorme intérêt qu'ils présentent par rapport aux ruptures conventionnelles collectives. La CFDT a beaucoup défendu l'idée selon laquelle ces accords pouvaient l'emporter sur le contrat individuel de travail, considérant que les salariés s'organisent et discutent collectivement, préparent les revendications, puis négocient les accords de préservation et de développement de l'emploi qui, une fois conclus, présentent un intérêt collectif majeur : on accepte un certain nombre d'efforts – des mobilités, des reconversions, etc. – mais, ce faisant, on préserve le capital de connaissances de l'entreprise et la richesse que constituent les salariés.
Bon nombre d'employeurs se montrent très intéressés par la rupture conventionnelle collective, qui leur permet, simplement en signant un chèque du bon montant, de négocier des départs sans aucune contrainte – sans consultation du comité d'entreprise, sans expertise et sans aucun des dispositifs précédant les plans de sauvegarde de l'emploi. Or, cette pratique nous paraît tout à fait incompatible avec les accords de préservation et de développement de l'emploi : on ne peut pas à la fois faire comme si on voulait garder les salariés dans l'entreprise, leur demander des efforts en termes de formation ou de polyvalence, qui permettent à l'entreprise d'être plus compétitive –, et en même temps leur dire que s'ils préfèrent partir avec un chèque, ce n'est pas plus mal. Ce dispositif de la rupture conventionnelle collective est un peu passé sous le radar médiatique, mais je peux vous assurer qu'il intéresse au plus haut point les employeurs, et que la Direction générale du travail (DGT) reçoit tous les jours des appels d'employeurs souhaitant conclure au plus vite des accords de ce type.