Intervention de Gilles Lecuelle

Réunion du lundi 6 novembre 2017 à 15h05
Commission des affaires sociales

Gilles Lecuelle, secrétaire national en charge du secteur dialogue social, Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres, CFE-CGC :

La Charte sociale européenne dispose en son article 24 que « (…) les parties s'engagent à reconnaître (…) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée » – autrement dit, à la réparation intégrale du préjudice qu'ils ont subi. Le barème faisant disparaître le droit à réparation intégrale, le dispositif est attaquable sur ce fondement.

En 2008 déjà, la CFEC-CGC défendait la notion d'adhésion et non pas de représentativité par la voie de l'élection ; c'est d'ailleurs la raison principale pour laquelle nous n'avons pas signé la motion commune sur la représentativité. Mais la différence entre le syndicalisme patronal et le syndicalisme salarial est que, du côté salarial, on n'a que des devoirs puisque, que l'on soit salarié militant dans une organisation syndicale ou pas, quand un accord s'applique dans l'entreprise, dans la branche ou au niveau national, tout le monde a les mêmes droits. Les patrons des TPE, eux, adhèrent à une organisation patronale parce qu'elle leur apporte des services, notamment en leur permettant de dupliquer sur le terrain un accord de branche. Aussi les patrons des petites entreprises adhérent plus facilement à une organisation syndicale qu'un salarié qui n'y trouvera aucun intérêt mais prendra des claques.

Je ne suis par ailleurs pas persuadé que toutes les petites entreprises aient envie de faire du dialogue social. Bien des petits patrons m'expliquent que le dialogue social au niveau de la branche leur convient car cela permet d'assurer une cohérence nationale pour un même métier mais qu'ils n'ont pas envie que leur concurrent, situé à 5 kilomètres, négocie un accord qui perturbera la vie de sa propre entreprise en le contraignant à négocier lui aussi – et quand ce ne sera pas favorables aux salariés, il ne sera pas très facile à un petit patron d'expliquer qu'il va peut-être geler les salaires parce que son voisin et concurrent l'a fait.

La branche doit remplir son rôle de services aux TPE-PME. Quelques éléments à ce sujet figurent dans les ordonnances ; c'est un bon début, mais cela ne suffira peut-être pas. Je pense cependant que les choses vont bouger parce que la représentativité patronale est pour partie fondée sur le nombre d'adhérents. Pendant trop longtemps, les branches ont été gérées par des représentants des grandes entreprises qui ne se préoccupaient que de leurs intérêts propres. Un changement majeur est à l'oeuvre ces derniers temps – ayant été quatorze ans représentant de la branche Industries chimiques, je peux vous en parler – et certaines clauses des derniers accords conclus sont au service des TPE et PME. Pourquoi cela ? Parce que les organisations patronales veulent recruter des adhérents parmi les TPE, espérant ainsi gagner des adhérents qui conforteront leur représentativité.

Il fallait donc renforcer la branche, comme nous le demandions, ou du moins ne pas l'attaquer comme cela a été le cas, puisqu'elle a perdu des prérogatives. L'ordre public conventionnel défini dans la loi El Khomri était plus favorable que ne le sont les ordonnances, puisqu'on pouvait fixer au niveau de la branche, parmi tous les sujets d'actualité, ceux qui devaient être impérativement examinés. C'était pour nous un moyen de faire du dialogue social dans les petites structures.

Nous ne croyons pas au mandatement. L'expérience des 35 heures nous a montré que tous ceux que nous avons mandatés sont restés adhérents chez nous une année et que, une fois l'accord signé et applicable, on ne les a jamais revus.

La difficulté pour la CFE-CGC, syndicat catégoriel, tient à ce que, dans les petites entreprises, le personnel d'encadrement est souvent le patron lui-même – et quand il y a deux cadres, le second est tout aussi souvent le fils ou le gendre. Autant dire qu'il n'est pas toujours facile pour nous de nous implanter dans les TPE. Nous avions évoqué, lors des discussions sur les ordonnances, une méthode que M. Simonpoli a reprise dans ses propositions. Elle consiste à soutenir la branche au niveau des TPE, par la création de binômes réunissant un représentant des salariés et un représentant des patrons. Une telle organisation fonctionne dans les deux sens : le binôme se rend dans la TPE et lui apporte une aide à la négociation et à la formation, et sa connaissance du sujet ; en contrepartie, aller sur le terrain permet des remontées intéressantes pour la branche. Nous souhaitons que cette proposition aboutisse, car c'est aussi une manière intelligente et encadrée de faire du dialogue social.

Pour ce qui est des retours d'expérience à ce jour, nos militants, nos sections syndicales et nos fédérations s'inquiètent fortement de l'entrée en vigueur de l'instance unique, de la diminution du nombre de représentants et aussi de la limitation du mandat à trois ans, mandat de titulaire et mandat de suppléant confondus. Jusqu'à présent, les suppléants pouvaient participer aux instances ; c'était un moyen pour nous de former nos militants sur le tas et de préparer une forme de GPEC syndicale. Avec un mandat limité à trois ans, un suppléant ne pourra plus être titulaire ; de plus, si le titulaire a toujours été présent, le suppléant pourra finir son mandat sans avoir jamais participé à une réunion. Cela pose de graves questions de fonctionnement et de formation.

Cette limitation posera aussi de lourds problèmes aux entreprises. L'un des principaux rôles de nos élus consiste à aller rencontrer les salariés dans les ateliers. Qu'il y ait moins de monde pour le faire entraîne le risque de ne pas être conscient de signaux faibles ; il en résultera qu'un jour un atelier se mettra en grève parce que personne n'aura su capter dès l'origine un signal faible que l'on savait autrefois traiter à la base. Pour cette raison, s'exprime la crainte d'une dégradation sourde du climat social dans les entreprises, préjudiciable à tous.

Enfin, le volet « santé » est sans doute le point le plus grave. Le CHSCT pouvait faire de la prévention et prendre des mesures véritablement importantes, par une réflexion partagée entre la direction et les représentants des salariés. Sa suppression risque d'avoir pour conséquence une détérioration de la santé au travail. C'est une de nos grandes craintes. Outre que la commission prévue n'a pas le pouvoir d'un CHSCT, elle a été réduite comme peau de chagrin. Qui plus est, les ordonnances prévoient que ses membres font partie du CSE. Or, le CSE peut se trouver uniquement composé de salariés qui travaillent dans des bureaux – acheteurs, comptables… – et qui n'ont rien de l'expertise de terrain nécessaire dans les industries mécaniques ou chimiques par exemple. Au moins faudrait-il élargir cette commission et permettre qu'y siègent aussi des salariés non membres du CSE.

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