Je commencerai par les choses qui fâchent. Tout comme pour les élus de la République, la représentativité des syndicats est appréciée, depuis 2008, au regard des résultats des élections professionnelles. Cela n'a jamais été au regard des adhérents – de même que vous, députés, n'êtes pas représentatifs au regard du nombre d'adhérents des partis politiques. Il serait bon de comparer des choses comparables, au lieu, comme trop souvent, d'entendre regretter ou critiquer, le fait qu'il n'y a pas suffisamment de syndiqués pour démontrer que l'on est représentatif.
Mon collègue l'a dit, et il est important de le rappeler : en France, tout ce qui est négocié par les organisations syndicales bénéficie à tous, adhérents et non adhérents. Notre conception du syndicalisme n'est pas d'être syndicalistes pour « vendre de la carte » mais parce que nous avons envie de représenter les salariés. Si l'objectif visé est de transformer les syndicats en entreprises commerciales invitées à vendre le plus de cartes qu'il est possible, ce n'est pas notre vision des choses.
Ce qui nous aide à nous implanter dans les entreprises c'est de pouvoir désigner des délégués syndicaux et d'avoir des élus. Cela n'est pas le cas dans les TPE, si bien qu'il est particulièrement difficile de s'y implanter. Mais la CFTC représente tous les salariés, y compris ceux des TPE. C'est en quoi le mot « syndicalisme » prend tout son sens : celui d'un service rendu à tous les salariés, pas uniquement à nos adhérents.
Ce qui nous aidera éventuellement à entrer par l'adhésion dans les entreprises comptant moins de vingt salariés, sera que désormais on pourra négocier sur un très grand nombre de sujets dans les entreprises. Les salariés et les entreprises doivent prendre conscience de la plus-value qu'apporte dans ce cadre le fait de pouvoir discuter avec une organisation syndicale, ne serait-ce que par le mandatement, auquel nous croyons.
Il faut distinguer dialogue et dialogue social. Bien entendu, employeurs et salariés discutent tous les jours dans les TPE, puisqu'ils travaillent ensemble. Mais le dialogue social, c'est autre chose : c'est un dialogue structuré pour permettre de négocier. La complexité de la législation et de la réglementation du travail demande que l'on puisse se poser pour discuter, et aussi que l'on dispose de certaines compétences. Je ne dis pas que les gens, dans les entreprises, sont incompétents, mais il faut être pragmatique : le code du travail n'est pas un ouvrage que l'on s'approprie facilement – et cela est vrai aussi pour les chefs des petites entreprises. Je travaille dans le milieu agricole, et je sais que le métier des agriculteurs n'est ni d'être directeur des ressources humaines, ni d'être juriste, ni d'être comptable. C'est dire l'importance d'un dialogue social construit et équilibré, mené par des gens formés à cela.
La CFTC conçoit le dialogue social comme fondé sur la confiance et sur le dialogue qui, pour être sain, doit être loyal ; cela suppose une formation à la négociation, et une discussion construite. Le dialogue social ne peut être construit sur la défiance et le conflit. Dire, comme cela vient de l'être, qu'il n'y a pas besoin d'organisations syndicales pour négocier, est inexact. On a besoin d'elles pour négocier, et ce n'est pas parce que des organisations syndicales entrent dans l'entreprise que défiance et conflit y entrent avec elles. C'est tout l'inverse : il s'agit de construire des choses ensemble, grâce à l'expertise de l'organisation syndicale, ne serait-ce que par le mandatement – car quand nous mandaterons des gens, nous les accompagnerons et nous serons une force de proposition pour co-construire les accords avec l'employeur. Il y trouvera son compte parce que les compétences utilisées sécuriseront l'accord, que nous aurons travaillé ensemble sur le plan juridique.
Nous regrettons la suppression du contrat de génération. Parce qu'il n'a pas fonctionné, on renvoie la question de l'emploi des seniors à la GPEC. Nous formerons nos militants à en traiter dans ce cadre, mais nous appelons votre attention sur le fait que l'emploi des seniors doit rester une priorité des pouvoirs publics. Or, la suppression des contrats de génération fait qu'aujourd'hui il n'y a plus de dispositions spécifiques à ce sujet.
Les ruptures conventionnelles collectives n'ont rien à voir avec la GPEC mais elles sécuriseront les plans de départs volontaires qui, jusqu'à présent, étaient pratiqués au petit bonheur la chance. Nous serons très vigilants à la manière dont ce dispositif sera utilisé car notre grand regret est que les dispositions relatives aux licenciements économiques n'aient pas été reprises, ne serait-ce qu'en partie – consultation des représentants du personnel, contrats de sécurisation professionnelle, indemnité conventionnelle de licenciement… Nous déplorons que le dispositif ne soit pas mieux encadré.
Pour la santé au travail, nous avions demandé que l'instance dédiée à la sécurité et à la santé au travail soit obligatoire. Nous regrettons fortement qu'elle ne le soit que dans des cas très restreints. Le CSE devra certes consacrer au moins quatre réunions annuelles à ces sujets ; on ne peut donc pas dire que la question de la santé au travail est totalement négligée, mais nous considérons que c'est insuffisant. Il aurait fallu aller plus loin, et nous serons très vigilants à la façon dont ces questions seront abordées sur le terrain.
Cela vaut d'ailleurs pour l'entièreté des ordonnances : tout dépendra de la manière dont les acteurs se les approprieront. S'ils les appliquent de manière constructive, de belles choses seront possibles et l'on pourra répondre aux objectifs affichés. Si, au contraire, la souplesse apportée est utilisée de façon un peu plus malsaine, les ordonnances auront bien sûr des effets pervers. Nous devrons donc exercer une grande vigilance.
Enfin, pour ce qui est du périmètre d'appréciation des difficultés économiques au niveau national, j'appelle votre attention sur le fait que les termes « sauf fraude » qui figuraient dans les projets d'ordonnance initiaux ont été supprimés. Certes, cela ne change rien sur le plan juridique, mais il est important d'afficher que l'on ne peut pas faire ce que l'on veut en cette matière. Cette mention soulignait que l'on ne saurait susciter des difficultés économiques artificielles et il serait bon, pour cette raison, de la réintroduire, peut-être dans la sixième ordonnance.