La situation des directeurs d'école est suffisamment difficile pour que, nous, législateurs, ne prenions pas des décisions contraires à leurs aspirations.
Ces personnels sont aujourd'hui confrontés à une surcharge croissante de travail – est-ce faux, cela aussi ? Les tâches administratives s'alourdissent chaque année, alors que les temps de décharges de classe stagnent ou baissent. Cette situation mène à des pathologies professionnelles de plus en plus fréquentes. Comment parler de ce fléau sans citer Mme Christine Renon, cette directrice d'école qui s'est donné la mort le 24 septembre 2019, dans son école, laissant une lettre à ses collègues et à l'inspection académique ? Elle nous a alarmés sur le « sort de tous les directeurs », mettant en avant les fermetures de classe, les tâches administratives, les incessantes injonctions, le temps de travail, le manque de matériel, le manque de soutien et de protection de l'institution.
La crise sanitaire a mis une nouvelle fois les directeurs d'école à rude épreuve. La mise en oeuvre du protocole sanitaire, les informations contradictoires sur la présence obligatoire des enseignants et les déclarations tout aussi contradictoires du ministre de l'éducation nationale dans les médias ont été sources d'angoisse pour le personnel. C'est pour toutes ces raisons que les premiers concernés vous demandent de renoncer et de retirer votre proposition de loi.
Votre volonté d'instituer un statut de directeur d'école n'est pas nouvelle – c'est même une volonté ancienne du ministre de l'éducation nationale : vous l'aviez proposé, madame la rapporteure, dans le cadre d'un rapport en août 2018. Déjà, l'opposition à la création d'un tel statut s'était exprimée fermement dans les rangs syndicaux. Le ministre de l'éducation nationale a consulté les directeurs d'école sur cette même question et recueilli plus de 29 000 réponses en novembre 2019. Les directeurs ont exprimé leur opposition, puisque seulement 11 % d'entre eux s'y sont dit favorables. Je répète ce que j'ai dit en commission : ce texte vous permet de revenir à la charge grâce à une pirouette sémantique, puisque pour ne pas déclarer un « statut », vous le transformez en « fonction » de directeur d'école.
Dans les faits, cela revient au même ! Le directeur d'école devient « délégataire de l'autorité académique ». Il sera donc un manager dans son école. Le décret de 1989 prévoit que le directeur « représente l'institution auprès de la commune et des autres collectivités territoriales ». Cette disposition nous paraît bien suffisante. Si les débats en commission ont permis d'inscrire dans le texte que le directeur n'est pas le supérieur hiérarchique de ses collègues, vous lui permettez tout de même de prendre des décisions pour le fonctionnement de l'école sans l'avis du conseil des maîtres. La version du texte issue de la commission renforce même le rôle décisionnaire du directeur. Il est désormais inscrit que le directeur « peut prendre les décisions nécessaires liées aux responsabilités relatives au fonctionnement de l'école ». Le conseil des maîtres n'est donc plus du tout mentionné et le fonctionnement collégial de l'école primaire est supprimé.
Or nous affirmons que, pour le bon fonctionnement de l'école, il n'est pas nécessaire que son directeur soit décisionnaire. L'école primaire se distingue par un fonctionnement démocratique : le conseil des maîtres réunit l'ensemble des maîtres affectés à l'école, des maîtres remplaçants exerçant dans l'école et des membres du réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté – RASED – , quand ces derniers n'ont pas été supprimés en raison du manque de postes dans le premier degré. Les décisions sont prises par l'ensemble de l'équipe. Le conseil d'école, lui aussi, fonctionne démocratiquement. Il réunit, outre le corps enseignant, les représentants élus des parents d'élèves, le maire, un conseiller municipal et le délégué départemental de l'éducation chargé de visiter l'école. L'inspecteur de l'éducation nationale de la circonscription assiste de droit aux réunions.
Ce système démocratique et de travail collectif fonctionne bien – il l'a prouvé lors du confinement. Le ministre de l'éducation nationale s'est même félicité de la continuité pédagogique organisée par les enseignants et de la mobilisation de ces derniers.
Cette réussite est due au fonctionnement horizontal de l'école, que vous souhaitez désorganiser. Un exemple éclairant : votre proposition de loi prévoit que le directeur d'école « participe à l'encadrement du système éducatif » ; or, aujourd'hui, les personnels d'encadrement du système éducatif français sont les personnels de direction de l'éducation nationale, les personnels d'inspection et les personnels d'encadrement administratif. Le directeur d'école n'entre dans aucune de ces catégories. Il ne travaille pas non plus au sein de l'administration. En adoptant cette rédaction, vous assimilez les directeurs d'école à des personnels de direction de l'éducation nationale, c'est-à-dire aux chefs d'établissement du second degré. Cela dessine une école verticale que dénoncent de nombreux syndicats et dont nous ne voulons pas.
Tous ces éléments démontrent que le directeur-manager de demain sera bien un fonctionnaire au statut particulier. L'accès à ce statut pose au moins deux autres problèmes liés à la nomination et à la rémunération du directeur d'école.
Tout d'abord, votre proposition de loi prévoit que le directeur est nommé par l'inspecteur académique. Actuellement, le directeur est inscrit sur une liste d'aptitude après avis de la commission administrative paritaire départementale ; il est ensuite affecté en fonction du nombre de points cumulés pendant sa carrière. Un directeur peut se voir retirer son emploi, toujours après avis de la commission administrative paritaire départementale. Ce fonctionnement garantit une relative transparence dans l'attribution des postes, sous le contrôle des syndicats. Vous avez affirmé en commission, madame la rapporteure, que ce mode de recrutement serait conservé, mais vous avez refusé de l'inscrire dans la loi. Nous pouvons donc craindre que la fonction de directeur puisse être retirée selon le bon vouloir de l'inspection académique, ce qui constituerait un moyen de pression inacceptable contre les directeurs. Si notre motion de rejet préalable n'est pas adoptée, nous reformulerons notre proposition, soutenue par les syndicats, par voie d'amendement.
Les mesures liées à la rémunération des directeurs d'école font également objet de critiques de la part des syndicats. En créant un régime spécifique de rémunération, vous créez, de fait, un corps séparé des enseignants. Cela n'est pas nécessaire pour augmenter la rémunération des directeurs d'école.
Actuellement, tous les directeurs bénéficient de huit points de nouvelle bonification indiciaire et d'un nombre de points de bonification indiciaire variant selon la taille de l'école. Ils perçoivent également une indemnité de sujétion spéciale pour la direction, qui se compose d'une part principale commune à toutes les écoles et d'une part variable liée à la taille de l'école. Au total, les directeurs perçoivent une rémunération mensuelle brute supplémentaire de 200 à 400 euros.
Dans l'exposé des motifs de votre proposition de loi, vous proposez une augmentation de l'indemnité de direction de 150 à 300 euros bruts par mois, ce qui est bien en dessous des revendications des directeurs d'école ! Dans une note publiée en 2019 dans Regards sur l'éducation et consacrée à la France, l'Organisation de coopération et de développement économiques – OCDE – soulignait la faiblesse des salaires des directeurs d'école et chefs d'établissement. Le salaire des directeurs d'écoles élémentaires en France est de 15 % inférieur à la moyenne de l'OCDE. Avec cette proposition de loi, vous ne répondez pas au problème dans son ensemble. Une bonification indiciaire plus généreuse, qui serait prise en compte dans le calcul des retraites actuelles, nous paraîtrait plus judicieuse.
Lorsque vous présentez votre texte, vous insistez sur les décharges qu'il prévoit. Vous avez raison : ces décharges supplémentaires font écho à d'anciennes revendications des personnels de direction. Mais une fois encore, les dispositions que vous prévoyez ne permettent pas de répondre efficacement à la demande des intéressés. Lors de la consultation des directeurs d'école organisée par le ministère de l'éducation nationale en novembre 2019, ils ont indiqué que les tâches administratives étaient celles auxquelles ils passaient le plus de temps ; elles comptent aussi parmi les plus pénibles, avec les questions de sécurité. C'est pour accomplir toutes ces tâches qui ne constituent pas, selon eux, le coeur de leur métier, qu'ils demandent davantage de soutien. Les directeurs d'école souhaitent se concentrer sur le suivi collectif des élèves, le travail en équipe et l'élaboration des dispositifs d'aide : voilà ce qu'ont répondu 83 % d'entre eux.