Intervention de Alexis Corbière

Séance en hémicycle du jeudi 2 juillet 2020 à 21h30
Sortie de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Corbière :

Au fil de nos débats, chacun aura compris que ce projet de loi est caractérisé par un grand flou et qu'on y trouve quelques loups. Du moins est-ce la lecture que nous en faisons. Je commencerai par évoquer la confusion qui affecte tant sa forme que son contenu.

S'agissant de la méthode, pourquoi doit-on adopter ce texte dans une telle précipitation, alors que la fin de l'état d'urgence est prévue pour le 10 juillet ? Le délai dont nous avons disposé pour l'examiner et en débattre a été très court, alors que les enjeux sont importants.

Le problème est dans la question : le 10 juillet marquera officiellement la sortie de l'état d'urgence, mais la réalité est tout autre, chacun l'aura compris. Dans les faits, il s'agit d'une fausse sortie ou d'une prétendue sortie, puisque le Premier ministre pourra continuer à apporter de lourdes restrictions aux libertés publiques jusqu'au 30 octobre, sans que le Parlement ait à se prononcer. Pour notre part, nous ne pouvons le tolérer, car nous sommes attachés au rôle fondamental du Parlement.

Bien évidemment, nous sommes toutes et tous ici conscients du danger d'une seconde vague – vous avez eu raison de le mentionner, madame la secrétaire d'État. Plusieurs signaux alarmants l'attestent, la pandémie n'est pas derrière nous.

Toutefois, pour faire face aux menaces, il n'est nul besoin de ce texte qui réduit les libertés. En cas de résurgence de la pandémie, un simple décret suffirait pour prendre les mesures proportionnées au danger. Face à un tel scénario, il reviendrait aussi au Parlement, vous l'oubliez souvent, de décider de la marche à suivre.

Qu'on se le tienne pour dit, la précipitation qui a guidé l'adoption de ce texte est à la mesure de la crise sociale que connaît notre pays. Dans les faits, c'est la énième fois depuis 2017 qu'un texte organise – cette fois-ci sous couvert de pandémie – des mesures de restriction des libertés publiques, à commencer par la liberté de circuler et, surtout, la liberté de réunion. Voilà ce qui nous est insupportable. Pour ceux qui sont attachés au caractère républicain de notre pays, les libertés publiques sont fondamentales.

Dans ce texte, vous prolongez, pour une période donnée et hors état d'urgence, les mesures de restriction prévues par l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, alors que celles-ci sont en principe mobilisables en cas d'état d'urgence ! Dans le contexte actuel de gronde sociale et au vu des mobilisations à venir – le Président de la République vient d'annoncer une nouvelle fois, dans une grande interview, que la rentrée serait dure – , tout cela est loin d'être anodin, chacun l'a bien compris. Comment ne pas y voir une volonté ou la possibilité de se doter d'outils visant à contrôler des mouvements sociaux, voire à les étouffer, les réduire, les marginaliser ?

Il n'y a là ni lubie ni exagération de ma part. Nous ne sommes pas les seuls à vous alerter. La Commission nationale consultative des droits de l'homme a fait part elle aussi de son inquiétude, dans une déclaration publiée le 28 juin dernier. Tel a été également le sens de l'appel « Pour le droit de manifester » lancé par un collectif d'organisations, dont la Ligue des droits de l'homme – je l'avais déjà mentionné lors de la discussion générale en nouvelle lecture.

J'en viens à l'article 2 de votre projet de loi. Par ce dispositif, vous prévoyez d'allonger la durée de conservation des données collectées dans le cadre des systèmes d'information mis en oeuvre pour lutter contre la pandémie. Nous vous avions alertés : entériner la création de fichiers de ce type revient à ouvrir une boîte de Pandore ; les conséquences peuvent être assez préoccupantes. On s'engage sur une pente glissante, celle de la marchandisation des données de ce qu'on appelle le « health data hub ». Le compte rendu du Conseil des ministres précise que ce hub exclura les données de StopCovid, mais quelles garanties avons-nous à ce sujet ?

Précisions d'ailleurs que StopCovid a été activé par 2 % de la population seulement, le nombre d'utilisateurs actifs étant évalué par les chercheurs à 0,5 % de la population. On ne peut pas considérer cela comme un succès. À l'heure du déconfinement, il faut protéger et dépister, mais non pister !

En définitive, vous êtes dans l'urgence sélective. Les plans sociaux se multiplient et les associations d'aide alimentaire sont débordées – je le dis en ma qualité de député de la Seine-Saint-Denis, où nous connaissons une crise sociale terrible, qui progresse douloureusement. Or vous vous focalisez uniquement sur la réduction des libertés publiques.

Il n'y a pas de retour à la normale en matière de droit du travail : les employeurs peuvent continuer à imposer six jours de congés forcés à leurs salariés. Il n'y a pas de retour à la normale non plus pour les 2,5 millions d'intérimaires, alors que beaucoup d'entre eux ne disposent d'aucun filet de sécurité. Il n'y aura pas d'année blanche pour les chômeurs. Concernant d'éventuelles réquisitions ou nationalisations, rien n'est prévu.

À l'heure où nous avons besoin d'un État stratège et d'un plan de relance ambitieux, vous donnez le sentiment de regarder ailleurs ou d'avoir d'autres priorités. Dans ces conditions, nous ne pouvons pas approuver ce projet de loi, insuffisant sur certains points, inquiétant sur d'autres et, en fin de compte, hors sujet face à la grave crise sociale qui blessera notre pays dans les mois qui viennent.

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