L'examen de ce troisième PLFR tombe à point après des élections municipales qui ont vu l'abstention atteindre un tel niveau qu'elle en devient un fait politique et historique majeur. Son analyse nous montre que notre suffrage universel se mue de plus en plus en un suffrage censitaire, excluant de fait les classes populaires. Certes le gâchis provoqué par le maintien du premier tour a dépouillé ces élections de tout sens aux yeux de beaucoup mais cela n'a fait qu'exacerber la personnalisation du pouvoir liée aux institutions de la Cinquième République, qui gangrène absolument toutes les parties de notre démocratie.
Mais je vois d'autres causes majeures à ce désastre démocratique, et le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui nous en donne maintes illustrations. D'abord parce qu'une fois de plus ce PLFR est celui des promesses non tenues et même des mensonges éhontés. Je ne compte plus les fois où j'ai vu le Gouvernement annoncer une chose à la télévision avant de constater tout l'inverse dans le projet de loi correspondant. Vous n'êtes certes pas les premiers à réaliser ce genre de performance mais vous la portez là à un niveau inédit. Je me demande même s'il y a des contre-exemples à ce constat tellement cela semble devenu la règle.
Les Français n'ont peut-être pas le loisir de décortiquer chaque PLFR pour y débusquer chacun de vos mensonges mais ils voient bien que vos mots ne sont pas suivis d'actes et que vos belles paroles ne changent pas leurs réalités. Ils n'iront peut-être pas fouiller dans ce troisième PLFR pour s'apercevoir qu'au lieu des 500 milliards annoncés pour faire face à la crise, seuls 50 milliards d'argent frais ont été mis sur la table, soit dix fois moins que prévu, mais je peux vous assurer qu'ils le mesurent au vu de leur compte en banque et dans leur peur d'un lendemain qui verra, je le crains, la perte de leur emploi.
Quand vous faites entériner par le droit une baisse de l'indemnité de chômage partiel, après avoir assuré que ce ne serait pas le cas et après avoir fait de grands discours sur l'État providence, ils savent que vous les trahissez. Quand vous promettez des plans de soutien aux collectivités territoriales ou à certains secteurs spécifiques, qui se révèlent dotés d'insuffisamment de crédits, voire de pas de crédits du tout comme c'est le cas pour les départements, ils savent que vous les trahissez. Quand vous annoncez en pleine crise alimentaire, solennellement et précisément, que les Français pourront payer jusqu'à 95 euros de courses en titres-restaurants dans les supermarchés sans publier le décret qui le rendrait possible, ils savent que vous les trahissez. Ils le savent d'autant plus qu'après des années de beaux discours ceux qui étaient dans la misère le sont toujours et que de nombreux autres les rejoignent tous les jours.
À régime censitaire, fiscalité censitaire également, qui privilégie les plus riches au détriment de ceux qui produisent les richesses, plus particulièrement des plus pauvres. Non contents d'imposer une fiscalité injuste, vous diminuez la dépense publique et réduisez le nombre des mécanismes de solidarité, les recettes de l'État étant grevées par les cadeaux que vous faites aux plus riches, tout cela au nom d'un ruissellement, qui en réalité ne fait ruisseler l'argent qu'au bénéfice des mêmes. Pour la troisième fois, vous refusez de taxer la détention de capitaux, même à titre provisoire. À cet égard l'exercice de marketing politique qui a fait suite à la convention citoyenne sur le climat a laissé échapper un moment de vérité, quand Emmanuel Macron a dit que la seule mesure qu'il ne retiendrait pas parmi toutes celles proposées à l'issue de la convention est la proposition de taxer les dividendes à hauteur de 4 %. Voilà pourquoi nous vous soumettrons sous forme de nombreux amendements les mesures proposées par l'association ATTAC en la matière.
Le même écart sépare le « allons-y » proféré ce matin par Emmanuel Macron à propos des mesures proposées par les citoyens tirés au sort pour participer à la convention citoyenne et ses actes effectifs, c'est-à-dire le refus de mobiliser le capital pour assurer la transition écologique ou le refus de conditionner au moindre critère social ou écologique ses centaines de milliards de cadeaux aux entreprises. Elles n'auront même pas l'obligation de maintenir l'emploi et la production en France – alors qu'Emmanuel Macron vantait encore il y a peu les circuits courts et la nécessité de relocaliser – , ni de ne pas profiter du covid pour engager des plans de restructuration prévus de longue dette, comme Nokia s'apprête à le faire pour des licenciements et des suppressions d'emploi prévus depuis 2018.
Il n'y a dans ce PLFR aucune trace d'État-stratège et pas plus de planification écologique qu'il n'y a eu de planification sanitaire. Au fond votre PLFR ne fait que garantir à la finance qu'elle survivra à la crise. De ce point de vue, c'est un retour vers le passé.