Disons-le tout net, pour le groupe Écologie démocratie solidarité, derrière le titre du projet de loi – « sortie de l'état d'urgence sanitaire » – , se cache tout de même encore un peu l'état d'urgence. Oui, l'actualité de la pandémie est encore vive dans certaines régions du monde, et des foyers sont découverts chez nous. Il ne s'agit donc évidemment pas pour notre part de sous-estimer les risques de résurgence de l'épidémie. Aussi, si la situation nécessite la prolongation des mesures exorbitantes du droit commun, pourquoi ne pas l'assumer en prolongeant l'état d'urgence plutôt que de proroger des mesures particulièrement attentatoires aux droits et libertés ?
Vous nous demandez en effet d'autoriser le Premier ministre à prendre nombre de mesures prévues dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, et cela jusqu'au 30 octobre 2020. Il pourra ainsi limiter la liberté de circuler, l'accès aux moyens de transports, l'accès aux lieux recevant du public et les rassemblements sur la voie publique ; il pourra restreindre la liberté de manifestation et la liberté de réunion.
En première lecture, le groupe EDS avait fait part de ses incompréhensions concernant un texte qui transpose dans le droit commun des dispositifs de l'état d'urgence. Nous avions même plaidé pour que le Gouvernement, s'il l'estimait nécessaire, puisse prolonger l'état d'urgence durant la période estivale. Or le texte soumis à notre examen en nouvelle lecture n'a pas permis de lever nos doutes – c'est le moins qu'on puisse dire.
La situation sanitaire justifie-t-elle de déléguer au Gouvernement des décisions à ce point déterminantes pour les libertés fondamentales que sont les restrictions des libertés de circuler, d'entreprendre, de se réunir et de manifester ? Nous ne le pensons pas. Il n'y pas ici des irresponsables d'un côté et, de l'autre, ceux qui veulent protéger les Français. Nous souhaitons que la santé des Français soit protégée, tout comme leurs libertés publiques. Nous ne sommes pas des scientifiques et le législateur doit s'appuyer sur les avis de ces derniers pour décider en conscience. Il faut en effet, monsieur le secrétaire d'État, trouver la ligne de crête ; or il n'y en a pas forcément qu'une.
En première lecture, nous n'étions pas opposés à ce que le Gouvernement puisse prendre certaines mesures d'exception, le temps de s'assurer de la réussite absolue de la sortie de la crise sanitaire. Mais, à choisir, nous aurions préféré une prorogation de l'état d'urgence, je l'ai dit, plus courte, plus encadrée et concentrée sur les besoins du moment. Au moins serions-nous dans le cadre d'un dispositif codifié, approuvé par le Conseil constitutionnel, juridiquement solide et plus respectueux du rôle du Parlement.
Au lieu de quoi vous proposez des mesures restreignant nos libertés fondamentales, prises par voie réglementaire et pour une durée de quatre mois, sans qu'aucun autre passage devant le Parlement soit prévu, entachant encore davantage le fondement de la démocratie qu'est la séparation des pouvoirs.
En outre, non seulement nos doutes n'ont pas été levés, mais la commission a enrichi ce texte d'un dispositif qui, il faut le dire, nous surprend. Vous nous demandez de voter un texte qui, en plus des dispositions de nature à limiter nos libertés fondamentales par voie réglementaire, créerait des certificats d'immunité comme sésame pour pouvoir voyager. Le Sénat l'a certes proposé mais comme solution alternative aux dispositions d'exception déjà prévues, pas comme une mesure supplémentaire.
Le groupe EDS, je le redis, n'est pas hostile à des solutions permettant au Gouvernement de prendre des mesures d'exception, le temps de s'assurer de la réussite de la sortie de crise. Mais ces mesures ne peuvent certainement pas être prises par voie réglementaire, certainement pas pour une durée de quatre mois sans aucun droit de regard du Parlement, et certainement pas en instaurant, par voie réglementaire là encore, une sorte de passeport sérologique pour voyager.
La question demeure donc entière : sommes-nous ou non en état d'urgence ? Soit la situation sanitaire justifie qu'il soit prolongé, soit ce n'est pas le cas et alors il n'est pas raisonnable de déléguer au Gouvernement de telles dispositions concernant les libertés publiques. Ni les travaux en commission, ni ceux du Sénat, ni non plus l'examen en séance publique en première lecture n'ont apporté de réponse cohérente. Nous examinons ici un texte hybride, un état d'urgence qui ne dit pas son nom. C'est pourquoi les députés du groupe EDS ne voteront pas le projet de loi.