Intervention de Alexis Corbière

Séance en hémicycle du mardi 30 juin 2020 à 15h00
Sortie de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Corbière :

Quand la sécurité d'un État ou d'une population est en péril, des mesures d'urgence s'imposent. Nous avons déjà connu cette situation, je pense à la tragique année 2015, et nous sommes d'accord sur ce principe. Le 23 mars dernier, l'état d'urgence sanitaire fut décrété. Trois mois ont passé et vous parlez aujourd'hui d'organiser la « sortie » – c'est bien le mot employé – de l'état d'urgence. Sur le papier, celui-ci ne sera pas prolongé au-delà du 11 juillet ; dans les faits, vous permettez au Premier ministre de prendre des mesures de restriction des libertés publiques jusqu'au 30 octobre.

En réalité, si ce texte nous est présenté aujourd'hui, c'est parce que les mesures qu'il contient pourraient permettre de restreindre, de marginaliser, d'étouffer voire d'interdire nombre de manifestations de la colère sociale qui gronde et grandit dans notre pays en raison des choix politiques du Gouvernement. Ce n'est là ni une approximation ni une dramatisation. Nous partageons bien évidemment la vigilance qui s'impose à tous et à toutes quant à la possible résurgence de la pandémie : tout danger n'est pas écarté, nous l'avons toujours dit et je tenais à le répéter pour éviter de voir mes propos caricaturés.

J'en viens au coeur du texte. Vous créez une sorte de troisième voie, de zone grise entre l'état d'exception et le droit commun. Vous prolongez des mesures de restriction de liberté d'ores et déjà prévues par l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, normalement mobilisables seulement en cas d'état d'urgence, alors que l'état d'urgence est censé prendre fin. Quelle logique à cela ? Puisqu'il n'y a pas de vide juridique, à quoi bon créer un nouveau régime d'exception ? Sauf à se doter d'un outil visant un but politique : permettre de restreindre la circulation des personnes et empêcher des rassemblements, comme le souligne Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l'université Paris-Nanterre, à l'instar de nombreux autres professionnels du droit qui s'interrogent sur ce volapük juridique fort inquiétant. De cet article, vous n'avez conservé que les mesures attentatoires aux libertés.

Nous refusons de voir ce texte devenir un énième instrument pour criminaliser les mouvements sociaux et étouffer les mobilisations légitimes qui se renforcent dans notre pays. Déjà, le 10 juin, un collectif d'organisations, dont la Ligue des droits de l'homme et ATTAC, lançait un appel pour le respect du droit de manifester. Ces organisations exigeaient du Gouvernement « le respect immédiat de ce droit, l'engagement à cesser toute poursuite contre les initiateurs des manifestations et les participants ». Je n'ironiserai pas sur l'incapacité du préfet de police de repérer les initiateurs des manifestations actuelles de policiers, mais on notera l'utilisation à géométrie variable du droit et de la restriction du droit de manifester…

De cette zone grise d'atteinte aux libertés fondamentales à la pérennisation de ces mesures dans le droit commun, il n'y a qu'un pas. Nous l'avons déjà éprouvé en 2017 avec la pérennisation des mesures de l'état d'urgence sécuritaire dans la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite SILT.

Pour quelles raisons avoir balayé du présent texte toute mesure à portée économique et sociale, telles les réquisitions ou encore l'encadrement des prix ? Les mesures sociales et économiques étaient déjà les grandes absentes au début de l'état d'urgence, elles le sont de nouveau à sa prétendue sortie. Masques et tests gratuits, réquisitions d'entreprises stratégiques, annulation des frais bancaires pendant toute la période de la crise : nous n'avons cessé de proposer des mesures à la hauteur de l'urgence. Rien n'a été retenu : pas de réorientation de l'industrie, pas d'année blanche pour les chômeurs, pas plus que pour les intérimaires de l'emploi ; pas non plus de retour à la normale sur les dérogations au code du travail autorisées sous prétexte de l'état d'urgence – les employeurs peuvent toujours imposer six jours de congés forcés à leurs salariés.

À côté, vous accordez 5 milliards de prêts garantis à Renault, malgré l'annonce de 4 500 suppressions de postes. Air France entend également supprimer 7 500 postes après avoir obtenu une aide de l'État de 7 milliards d'euros. Les associations d'aide alimentaire sont débordées, mais vous ne les aidez pas. La crise économique et sociale s'annonce terrible. Elle aurait pu être l'occasion d'un retour de l'État stratège, seul à même de protéger notre pays et la population contre cette crise sans précédent ; mais votre texte n'emprunte pas cette voie.

C'est pourquoi, en l'état – nous verrons comment se déroulera le débat et quelle sera la réponse à nos amendements – le groupe La France insoumise s'oppose fermement à ce texte, qui ne nous semble pas signer une sortie de la crise, mais une impasse supplémentaire, à l'image de votre politique.

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