Celle que nous avons à examiner aujourd'hui est avant tout une loi budgétaire et financière. Elle sanctionne d'abord le transfert de 136 milliards d'euros à la CADES, sans qu'il y ait eu de véritable débat sur le bien-fondé de ce choix. Il a d'ailleurs été très largement contesté par de nombreux économistes comme par le Haut Conseil du financement de la protection sociale, qui ont justement analysé la différence entre une dette de l'État et une dette de la sécurité sociale. Celle dont nous parlons n'est pas constituée en raison d'un déséquilibre structurel du régime de la sécurité sociale, mais procède de décisions de l'État, prises à l'occasion de la crise et dont le bien-fondé n'est pas discuté en l'espèce.
La nature particulière de cette dette commandait qu'elle soit traitée d'une façon particulière et demeure dans le giron de l'État. Cette solution présentait bien des avantages, le premier tenant au fait que l'État emprunte à des conditions plus favorables que les agences sociales, avec un écart de taux qui se situe régulièrement, depuis la création de la CADES, entre 0,1 et 0,3 point.
Le deuxième avantage tient à la nature même des dettes concernées et aux conséquences qui en découlent. Depuis 1996, la dette de la sécurité sociale a fait l'objet d'un amortissement et donc d'un remboursement intégral, intérêts et capital : elle doit donc tendre vers zéro. La dette de l'État, elle, est gérée à long terme : l'État ne supporte que les intérêts et réemprunte continûment et indéfiniment le principal, ce qui s'appelle « faire rouler la dette ». Le débat porte en général sur le niveau soutenable, acceptable, de la dette de l'État, et pas sur son extinction.
Votre choix nous fait craindre que vous n'hypothéquiez les marges de manoeuvre de la dépense sociale, au moment où chacun mesure à quel point nous en aurons besoin pour l'hôpital, au-delà des augmentations de salaire qui ont été annoncées et qui sont les bienvenues. Alors que le coût annuel de la dette liée au covid-19 supportée par l'État serait de 1,5 milliard d'euros par an, ce qui correspond aux intérêts, le transfert de cette dette à la CADES, qui devait s'éteindre en 2024, prive la politique sociale de la nation d'une dizaine de milliards d'euros par an de CSG, de CRDS et de cotisations chômage.
Vous avez fait un choix curieux, celui de faire payer la dette à ceux que nous avons applaudis à vingt heures comme aux plus riches. Vous dites, comme le Premier ministre hier, que vous avez choisi de ne pas augmenter les impôts. Mais si ! Vous les augmentez pour tout le monde jusqu'en 2033.
Aujourd'hui, nous lisons que quatre-vingt-trois milliardaires demandent à être taxés. Ça tombe bien, parce que nous sommes quelques-uns à proposer que ceux-là soient mis à contribution, comme ce fut le cas, par exemple, en Allemagne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Vous pourriez d'ailleurs, sans froisser ceux qui seraient assujettis à cet impôt, vous rallier à la proposition qui consiste à faire contribuer les 1 % d'Européens les plus riches – ceux qui possèdent à peu près 20 à 25 % de la richesse en France, en Allemagne ou en Espagne – à un taux de 1 % pour ceux qui ont un patrimoine supérieur à 2 millions d'euros, de 2 % pour les 0,1 % les plus riches, et de 3 % pour les milliardaires. Le rendement de cet impôt, au niveau de l'Europe, serait d'un peu plus de 1 % du PIB par an. Ainsi, nous pourrions faire rembourser, fût-ce de manière temporaire, la dette covid par les plus riches d'entre nous.
S'agissant de la création de la cinquième branche, nous nous réjouissons de son inscription à l'agenda du Gouvernement, après cette crise qui a été un choc anthropologique majeur, comme chacune et chacun d'entre nous a pu le mesurer. Toutefois, pour l'instant, il ne s'agit guère que d'une annonce. Vous ne dites rien de la manière dont vous concevez cette branche, ni de sa gouvernance et la politique publique qu'elle implique. Celle-ci devra nécessairement être globale, à la confluence du social et du médico-social, et ne pas se limiter à des prestations monétaires.
Ainsi serait-il excessif, à ce stade, de lire dans ces projets de loi la nuit du 4 août que vous annoncez à chacune de vos réformes. Pour cette raison, le groupe socialistes et apparentés ne les soutiendra pas, à ce stade.