Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du mardi 7 novembre 2017 à 16h30
Commission des affaires sociales

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

C'est un honneur et un plaisir de vous retrouver, mesdames et messieurs les députés, sur un sujet essentiel qui nous a occupés de nombreuses heures pendant l'été, afin de vous rendre compte du mandat que vous avez confié au Gouvernement par la loi d'habilitation afin qu'il agisse par ordonnances.

Nous traversons une semaine particulière puisque nous débutons l'examen du projet de loi de ratification des ordonnances et, en même temps, nous entamons la deuxième phase de transformation profonde de notre modèle social concernant la formation professionnelle, l'apprentissage et l'assurance chômage. Avec mes collègues de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, je lancerai vendredi la concertation avec les partenaires sociaux et avec les régions sur ces sujets.

Ce qui nous réunit aujourd'hui, c'est la réforme du code du travail et la loi sur le renforcement du dialogue social. Cette audition est très différente de ma première audition, tenue il y a quatre mois : il ne s'agit plus d'exposer une intention de méthode ni de grandes orientations, mais de vous présenter les éléments d'information les plus précis pour que vous puissiez déterminer si nous avons bien respecté le mandat que vous nous avez confié par la loi d'habilitation.

Ces orientations ont été annoncées dans le programme du Président de la République et affinées tout au long du processus qui s'est déroulé cet été. En matière de démocratie sociale, tout d'abord, la concertation s'est poursuivie pendant tout le mois de juillet et a repris pendant la deuxième quinzaine du mois d'août. En tout, près d'une centaine de réunions ont eu lieu, dont plus de soixante-dix au ministère du travail, soit près de 300 heures de réunion de travail avec les partenaires sociaux. Cette méthode patiente et approfondie a permis, sur les points sensibles, de trouver une voie concrète et négociée, meilleure que celle que nous aurions empruntée sans concertation, tout en maintenant l'ambition initiale. Je n'hésite pas à dire que la concertation a rendu la loi meilleure.

En matière de démocratie politique, ensuite, nous avons, parallèlement aux discussions avec les partenaires sociaux, débattu du projet de loi d'habilitation à prendre des ordonnances à l'Assemblée et au Sénat – débat qui s'est achevé par une commission mixte paritaire conclusive. C'est grâce à ces quelque quatre-vingts heures de débats et à l'ampleur de votre vote – l'Assemblée nationale ayant adopté le texte par 421 voix pour – que nous avons pu travailler efficacement par la suite.

Le mandat que vous nous avez confié consiste d'abord à prendre les mesures nécessaires pour, dans un monde qui connaît des mutations rapides et profondes, protéger les salariés, dynamiser le marché du travail, renforcer le dialogue social et libérer l'énergie et la capacité d'initiative des entreprises par la négociation et par la sécurisation juridique, tant pour les entreprises que pour les salariés. Les ordonnances que nous avons prises en application de la loi d'habilitation sont fondées sur la confiance accordée à l'intelligence collective des entreprises, des salariés et de leurs représentants, au premier rang desquels les organisations syndicales.

Concrètement, nous avons donc pris cinq ordonnances publiées au Journal Officiel du 23 septembre. Elles constituent un projet de transformation du code du travail d'une ampleur inégalée, car elles modifient non seulement des aspects juridiques mais, plus profondément encore, l'esprit du code du travail et des relations sociales, en renforçant la décentralisation du dialogue social. Nous pensons en effet qu'il est possible, dans chaque branche, d'approcher de beaucoup plus près la réalité de la vie des entreprises et des salariés, et de faire converger la performance économique, sans laquelle il n'existe pas de progrès social durable, avec le progrès social, sans lequel il n'existe pas de performance économique durable, par une adaptation proche des besoins des entreprises et des aspirations des salariés.

Le code du travail fixe les principes et établit le cadre qui s'impose à tous. À l'intérieur de ce cadre, c'est désormais la négociation qui fixera les règles de fonctionnement dans l'entreprise et dans la branche, dans le respect intégral de la loi.

Les ordonnances reposent sur quatre axes clés. Tout d'abord, pour la première fois, une réforme du code du travail donne la priorité aux très petites entreprises (TPE) et aux petites et moyennes entreprises (PME). Ce fut un angle constant du débat et l'une de nos priorités dans la rédaction des ordonnances, car 55 % des emplois se trouvent dans les PME, qui recèlent la plus grande dynamique en termes d'emploi. Il est donc essentiel que le code du travail permette de dynamiser les TPE et les PME créatrices d'emplois.

Deuxième axe : faire confiance aux entreprises et aux salariés en leur donnant la capacité d'anticiper et de s'adapter de façon plus simple, rapide et sécurisée. Le troisième axe consiste à apporter de nouveaux droits et de nouvelles protections aux salariés. Le dernier axe, enfin, vise à instaurer de nouvelles garanties pour les délégués syndicaux et les élus du personnel qui s'engagent dans le dialogue social, car on ne saurait vouloir renforcer le dialogue social sans renforcer ses acteurs et s'assurer qu'ils puissent exercer leur mandat tout en poursuivant leur développement professionnel.

Je commencerai par revenir sur les principales mesures que nous avons retenues concernant le premier axe, à savoir la priorité accordée aux TPE-PME.

Premier point : une négociation simple et accessible pour les entreprises de moins de cinquante salariés grâce à la possibilité de négocier directement avec un élu du personnel sur tous les sujets en l'absence de délégué syndical. Le délégué syndical reste la priorité mais, malgré des décennies d'efforts, les petites entreprises ne comptent que 4 % de délégués syndicaux, ce qui prive les salariés d'une représentation pour pouvoir dialoguer. Ce droit à la négociation des PME sera universel : il portera sur tous les sujets ouverts à la négociation. Avec notre réforme, toutes les entreprises du pays qui emploient des salariés, quel que soit leur nombre, auront donc un accès direct et simple à la négociation, qui est le coeur de notre projet ; nous faisons en effet le pari du dialogue social de terrain.

Deuxième point : nous voulons aller plus loin pour les TPE en leur donnant la possibilité de négocier directement avec leurs salariés sur tous les sujets. Ainsi, les entreprises de moins de vingt salariés qui n'ont pas d'élu du personnel pourront bénéficier d'une certaine souplesse à condition qu'elles discutent avec les salariés. Nous avons mis au point un système de consultation des salariés dans ces entreprises qui permet d'éviter une procédure lourde de convocations et d'accusés de réception, inadaptée à la réalité des petites entreprises, tout en garantissant une autonomie de jugement et une liberté de parole aux salariés, puisqu'il faudra que les deux tiers d'entre eux soient d'accord, et que leurs délibérations se tiendront hors de la présence du chef d'entreprise. Tous les sujets pourront être abordés : rémunération, temps de travail, organisation du travail. Ce dialogue informel existe dans de nombreuses entreprises de manière très positive ; il sera désormais sécurisé là où il existait, et encadré là où il n'était pas pratiqué.

Le troisième point concerne principalement – mais pas exclusivement – les TPE et les PME : l'accès à un code du travail numérique clair, accessible et compréhensible, répondant aux questions concrètes que se posent les chefs d'entreprise. Il va nous falloir du temps pour le créer, car ce n'est pas une mince affaire, mais l'exercice du droit suppose un accès simple au droit ; cela fait partie de notre démocratie. Avec la possibilité qu'a chacun d'accéder désormais au numérique, il est indispensable qu'un salarié ou qu'un chef d'entreprise de petite taille puisse obtenir une réponse concrète et directe sans être obligé de recourir à un expert – qu'il n'a pas les moyens de payer – pour se faire expliquer les milliers de pages du code du travail.

Quatrième point : un barème de dommages et intérêts impératif – ou, plus exactement, un plancher et un plafond – qui donne sécurité et visibilité sur les contentieux potentiels. Je ne connais aucun chef d'entreprise, en particulier de TPE-PME, qui embauche des salariés avec l'intention de les licencier ; ce mauvais procès n'a pas de sens. En revanche, l'incertitude sur le coût d'une rupture potentielle dissuadait l'embauche ; nous en avions des milliers de témoignages. En sillonnant la France depuis la publication des ordonnances, le 23 septembre, j'ai rencontré 3 000 chefs d'entreprise et, avec mon cabinet, 5 000 directeurs des ressources humaines, et je vous assure de l'effet psychologique réel produit dans les PME. Nous avons éteint une peur, et la confiance donne envie aux chefs d'entreprise d'embaucher alors même que les carnets de commande se remplissent et que la croissance repart avec robustesse. Autrement dit, cette mesure est très bien comprise.

Le cinquième point a toujours trait aux TPE-PME : les règles de licenciement sont réformées pour que les vices de forme ne l'emportent plus sur le fond. Il ne sera plus possible que des erreurs de forme interdisent l'examen du fond par le juge ; c'est là encore un point essentiel pour les petites entreprises qui ne disposent ni de directeurs des ressources humaines ni d'avocats.

Sixième point : un formulaire-type rappelant les droits et devoirs de chaque partie pour éviter les erreurs de procédure lors d'un licenciement. C'est un facteur de sécurisation pour les entreprises, notamment les plus petites d'entre elles, mais aussi pour les salariés.

Septième point : la suppression de contraintes administratives inapplicables en matière de déclaration administrative sur la pénibilité. Il ne s'agit évidemment pas de baisser la garde sur les sujets de pénibilité, mais nous avons trouvé une formule pratique et opérationnelle permettant d'exercer ce droit dans les petites entreprises.

Le huitième point concerne la clarification des règles du contentieux en cas d'inaptitude. Le conseil des prud'hommes s'appuiera sur l'avis d'un expert médical pour juger les affaires de façon documentée. Jusqu'à présent, de nombreux conseillers prud'homaux refusaient de se pencher sur ce point en considérant qu'ils ne disposaient pas de l'expertise nécessaire.

Neuvième point : une nouvelle obligation sera faite aux accords de branche de prévoir des dispositions spécifiques qui tiennent compte de la réalité des TPE-PME. C'est un point très important : comme je l'ai indiqué en juillet, le droit du travail s'est historiquement construit dans le cadre d'un dialogue entre l'État, les représentants patronaux des grandes entreprises et les représentants syndicaux des grandes entreprises. Un certain nombre de dispositions ne sont donc pas applicables – un problème auquel vise aussi à remédier le point suivant. Mieux vaut prévenir que guérir et éviter d'avoir à recommencer ce travail dans quelques années. Nous obligeons donc les branches, à chaque fois qu'elles mettent en place des dispositions spécifiques, à intégrer la manière dont elles s'appliqueront dans les TPE-PME. Que cela prenne la forme d'accords-types ou de mesures ad hoc, les branches seront, quoi qu'il arrive, obligées de se poser la question et, par conséquent, d'écouter des représentants patronaux et syndicaux afin de déterminer si la mesure en question est applicable dans les TPE-PME.

Par cohérence, le dixième point a trait à la prise en charge des salaires et frais de déplacement des salariés des TPE-PME qui participent à des négociations de branche, pour permettre l'application du point précédent.

Voilà pour le premier axe qui portait principalement sur les TPE-PME. Encore une fois, une partie des mesures qui les concernent s'applique aussi à toutes les autres entreprises, mais nous avons voulu mettre l'accent sur celles qui sont susceptibles d'embaucher le plus.

Le deuxième axe consiste à faire confiance aux entreprises et aux salariés en leur donnant la capacité d'anticiper et de s'adapter de façon plus simple, rapide et efficace.

Je poursuis donc ma liste des points : le onzième d'entre eux a trait à la possibilité d'anticiper et de s'adapter rapidement aux évolutions à la hausse ou à la baisse du marché par des accords majoritaires simplifiés sur le temps de travail, la rémunération et la mobilité. C'est une mesure très puissante qui donnera à toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, la possibilité de s'adapter plus vite au marché. Elle s'appliquera à la condition d'obtenir un accord majoritaire. En clair, toutes les entreprises dans lesquelles se tient un dialogue social de qualité débouchant sur un accord majoritaire pourront être plus performantes puisqu'elles s'adapteront en trouvant des contreparties économiques et sociales qui satisfont les deux parties. Les entreprises qui refusent le dialogue social n'auront pas la même agilité. Autrement dit, il s'agit d'une véritable incitation au dialogue social de terrain.

Douzième point : de nouveaux champs de négociation sont ouverts à l'entreprise. S'agissant des primes décidées dans les branches, par exemple, c'est l'accord de branche qui, en l'absence d'accord majoritaire, s'applique en guise de supplétif, pour servir de filet de sécurité. Dans de nombreuses entreprises, les salariés et les employeurs souhaitent négocier leurs propres primes pour mieux les adapter à leur situation – en fonction de l'âge ou des aspirations des salariés, notamment. C'est désormais possible.

Treizième point : un dialogue social simplifié et opérationnel, par la fusion des trois instances d'information et de consultation en une seule, le comité social et économique (CSE), pour toutes les entreprises de plus de cinquante salariés. Nous en avons débattu longuement : ces trois instances sont regroupées par la loi en maintenant naturellement la personnalité morale du CSE, sa capacité d'ester en justice, sa capacité de recourir à l'expertise, ainsi que l'ensemble des compétences du délégué du personnel, du comité d'entreprise et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Toutes les entreprises pourront se doter d'une commission CHSCT, obligatoire dans les entreprises de plus de 300 salariés et dans les secteurs sensibles. C'est donc une simplification majeure pour toutes les entreprises de plus de cinquante salariés, qui ira de pair avec le renforcement du dialogue, puisque tous les sujets économiques et sociaux pourront être mis en discussion avec des représentants syndicaux mieux formés et capables de négocier.

Quatorzième point : la possibilité accrue de promouvoir le dialogue social et la co-construction de la stratégie avec les salariés et leurs représentants, par la mise en place par accord majoritaire d'un conseil d'entreprise. La différence entre le conseil d'entreprise et le CSE tient au fait que le premier intègre l'ensemble des fonctions de représentant du personnel – information, consultation mais aussi négociation, par l'intermédiaire des délégués syndicaux. Un conseil d'entreprise ne peut être créé – à titre facultatif – que par un accord entre les deux parties, à savoir l'entreprise et les organisations syndicales. Il sera intéressant de suivre l'évolution des CSE ; ce ne sera pas d'emblée le dispositif majoritaire, mais il contribuera à instaurer la vision d'un dialogue social exigeant, parfois frontal mais co-constructif, puisqu'il existera des possibilités de co-décision, notamment – au minimum – en matière d'égalité entre les hommes et les femmes et de formation professionnelle.

Le quinzième point concerne l'instauration de la rupture conventionnelle collective. C'est, là encore, une grande innovation de cette loi. Nous proposons en quelque sorte de transposer ce qui a fonctionné au bénéfice des deux parties au niveau individuel – à savoir la rupture conventionnelle, d'ailleurs créée par une négociation interprofessionnelle en 2008 – au niveau collectif. La négociation dans l'entreprise, pour toutes les tailles d'entreprise, pourra définir un cadre commun de départ strictement volontaire – il n'est évidemment pas question qu'il s'applique à d'autres types de départs – qui devra, comme la rupture conventionnelle individuelle, être homologué par l'administration, pour éviter tout accord des deux parties qui poserait problème à l'assurance chômage, par exemple.

Seizième point, toujours dans un esprit de co-construction : la régulation des expertises, par l'instauration d'une participation financière forfaitaire de 20 % du coût des expertises par le CSE sur les expertises ponctuelles. Elle ne concerne donc pas les expertises régulières et, parmi les expertises ponctuelles, sont également exclues les expertises relatives à un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) et aux risques graves, dont la prise en charge continuera de relever à 100 % de l'employeur, comme c'est déjà le cas. Le but de cette mesure est de réguler le marché de l'expertise sans porter atteinte à la capacité du CSE d'y recourir. Aujourd'hui, l'un commande et l'autre paie, d'où l'inflation du marché. Ce n'est pas sain ; il n'existe aucun domaine dans lequel le payeur et le commanditaire sont différents par nature. Le montant demeure modeste, afin de ne pas obérer la capacité du CSE à recourir aux expertises, mais la co-décision sur le recours à l'expertise aux fins d'un co-financement paraît logique. Une participation de 20 % s'apparente davantage à un ticket-modérateur qui permet de responsabiliser toutes les parties et d'être plus exigeant sur le coût des experts.

Le dix-septième point concerne l'établissement, par accord de branche, de règles encadrant les CDD en fonction des spécificités de chaque secteur d'activité. C'est un point important qui répond à une demande qui nous a été faite concernant la gestion et la qualité de l'emploi. Le recours au CDD varie profondément d'un secteur d'activité à un autre, ce qui s'explique parfois par la différence qui existe entre les métiers. Par accord de branche, pour maintenir la cohérence au sein d'une branche, il sera donc possible d'établir des règles spécifiques concernant la durée, le nombre de renouvellements et le délai de carence en fonction de la spécificité du secteur d'activité visé.

Dix-huitième point : la possibilité d'accéder à des contrats de chantier grâce à la négociation d'un accord de branche fixant les règles permettant d'y recourir. Il ne s'agit pas de permettre aux entreprises de fixer seules les règles, mais aux branches aussi, dans des secteurs où c'est opportun – le bâtiment, la construction navale ou encore certains grands projets informatiques. Il faudra pour cela un accord de branche qui garantira une sécurité juridique importante aux entreprises qui souhaitent embaucher en CDI de chantier au lieu de multiplier des CDD comme c'est le cas aujourd'hui, ainsi qu'aux salariés. Dans ces conditions de sécurisation, j'ai confiance en la négociation de branche, avec sa nouvelle compétence en matière de gestion et de qualité de l'emploi, pour trouver des compromis gagnant-gagnant entre salariés et entreprises, comme c'est le cas dans le périmètre actuel, plus restreint.

Le dix-neuvième point concerne la fixation au niveau national d'un périmètre d'appréciation du motif économique, comme dans la grande majorité des pays européens. Il s'agit d'une remise au standard européen, car la règle précédente était pénalisante pour les investissements internationaux sans garantir davantage de liberté au juge. Le juge continuera de contrôler les fraudes – la loi le prévoit explicitement – et pourra évaluer lui-même les motifs et les raisons de l'appréciation en question.

Vingtième point : nous avons supprimé des obligations absurdes et des sources de contentieux, en particulier l'obligation de présenter la totalité des offres d'emploi d'un groupe dans tous les pays où il est présent, y compris les offres d'emploi inférieures au SMIC, car il est assez humiliant pour un salarié français qu'il lui soit proposé des salaires inférieurs au SMIC, même dans un pays lointain, voire européen. Ce sera plus de simplicité mais pas moins de protection, car l'employeur sera désormais tenu de proposer des offres de reclassement, étant entendu qu'il pourra les proposer à tout moment dans le périmètre national, par opposition à la photographie qui est actuellement réalisée à un instant t. Les salariés bénéficieront donc de droits réels plus larges.

Le vingt-et-unième point a trait à l'harmonisation des délais à un an en cas de contestation de la rupture du contrat de travail. C'est une mesure de simplification : aujourd'hui, le délai relatif au licenciement économique est de douze mois et celui du licenciement personnel de vingt-quatre mois ; l'un et l'autre seront désormais de douze mois.

Le troisième grand axe vise à établir de nouveaux droits et de nouvelles protections pour les salariés.

Le vingt-deuxième point, donc, porte sur la mise en place d'une co-décision à la française dans les entreprises qui mettent en place un conseil d'entreprise par accord majoritaire. Le conseil d'entreprise se situe au plus haut niveau du dialogue social, puisqu'il est également possible d'y négocier. Il faudra suivre avec beaucoup d'intérêt cette évolution des relations sociales dans un certain nombre d'entreprises moins avancées en matière de dialogue social.

Le vingt-troisième point est d'importance : les accords d'entreprise devront être majoritaires à partir du 1er mai 2018. Nous avançons donc beaucoup le calendrier, en contrepartie de la mise en place des libertés nouvelles qui donneront du grain à moudre dans les branches et les entreprises.

Vingt-quatrième point : nous créons un droit au télétravail sécurisé et souple qui permet une meilleure conciliation de la vie professionnelle et de la vie personnelle. Nos débats sur ce sujet, passionnants, avaient été particulièrement éclairants car ce sont des débats de société. Le télétravail concerne déjà 17 % des salariés et 61 % y aspirent, notamment en milieu rural, parmi les jeunes générations et pour trouver un équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, ou s'il existe des contraintes de vie. En outre, la multiplication d'espaces de travail partagés permet d'éviter la solitude sans pour autant se rendre sur un lieu de travail lointain. Nous avons donc pris le parti de l'audace en établissant un droit opposable, auquel le salarié peut demander à bénéficier ; il appartiendra à l'employeur de se justifier s'il ne peut y donner suite.

Vingt-cinquième point : les indemnités légales de licenciement sont augmentées de 25 %. Le décret d'application a été pris quelques jours seulement après la publication des ordonnances et la mesure est déjà en application. Il s'agit d'un acquis du débat parlementaire. Je rappelle qu'auparavant, un salarié gagnant 2 000 euros percevait 4 000 euros d'indemnités après dix ans d'ancienneté ; il en percevra désormais 5 000.

Vingt-sixième point : garantir davantage de prévisibilité, d'équité et de protection en cas de litige avec l'employeur grâce à la mise en place d'un plancher et d'un plafond de dommages et intérêts, et d'un formulaire-type. Cette mesure est rassurante tant pour l'entreprise que pour le salarié, car les dommages et intérêts accordés aux salariés se caractérisaient par des disparités trop grandes, peu d'équité et une faible visibilité. Nous avons donc instauré un plancher qui apportera un plus aux salariés. En quelques semaines seulement, une évolution en faveur de la conciliation se dessine et je pense qu'elle se confirmera, dans l'intérêt des deux parties, qui ont bien des possibilités à perdre avec une procédure de deux ans.

Vingt-septième point : un abondement du compte personnel de formation de cent heures sera financé par l'employeur en cas de refus par le salarié d'un accord majoritaire signé par les organisations syndicales portant sur le temps de travail ou la rémunération. Les mesures de ce type sont anciennes puisqu'elles datent de 2000, et il en a été pris plusieurs au fil des accords. Jusqu'à présent, cependant, un salarié qui refusait l'application d'un accord signé par les organisations syndicales avait le droit au chômage et rien qu'au chômage. Désormais, il touchera le chômage et bénéficiera en outre d'un droit supplémentaire à la formation qui sera concret et individuel, afin de rebondir sur un autre emploi. De surcroît, en guise de mesure de simplification, nous fusionnons les accords de réduction du temps de travail, de maintien dans l'emploi, de mobilité interne et de préservation de l'emploi. En clair, tous les motifs restent valables mais, au lieu de quatre mesures similaires, il n'y aura plus qu'un seul motif qu'il sera beaucoup plus clair d'invoquer, pour les salariés comme pour les entreprises.

Vingt-huitième point : de nouvelles compétences sont accordées aux branches professionnelles, notamment en matière de gestion et de qualité de l'emploi, afin d'assurer une plus grande équité entre les salariés d'un même secteur. Les branches garantiront par exemple les mêmes droits et garanties pour tous les salariés handicapés de la branche, qui devront être supérieurs à ceux que prévoit la loi. C'est un grand progrès car la négociation sur ce point est encore insuffisante, ce qui explique en partie pourquoi les entreprises n'emploient que 3,2 % de salariés handicapés, alors que notre objectif est d'atteindre 6 %. Il est temps de convenir que nous sommes tous responsables de cette situation ; c'est pourquoi il est judicieux d'encourager les négociations de branche.

Le vingt-neuvième point concerne des procédures de reclassement plus transparentes et plus équitables, grâce à l'accès à l'ensemble des emplois disponibles dans l'entreprise. Tous les salariés auront ainsi accès à toutes les offres d'emploi disponibles de l'entreprise en toute transparence, par affichage ou via l'intranet de l'entreprise.

Trentième point : le code du travail numérique. Comme je l'ai dit, il permettra une meilleure compréhension du droit pour les entreprises, mais aussi pour les salariés car, pour mieux comprendre le fonctionnement de l'entreprise et défendre ses droits, il faut d'abord comprendre le droit. Une mesure spécifique sera prise, sous une forme à définir, pour les salariés handicapés afin qu'ils puissent aussi accéder à cette information quel que soit leur handicap.

Le quatrième grand axe des ordonnances prises en application de la loi d'habilitation concerne les nouvelles garanties pour les syndicats et les élus du personnel qui s'engagent dans le dialogue social. Tous les points suivants ne relèvent pas forcément de la loi mais je tiens à les citer tout de même, car ils contribuent à l'équilibre général du système.

J'ai confié une mission à Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de l'association Dialogues, qui m'a rendu ses conclusions le 4 août. J'en ai retenu dix points. M. Simonpoli et Gilles Gateau, directeur général des ressources humaines d'Air France, travaillent désormais avec les partenaires sociaux sur la mise en oeuvre de l'ensemble de ces mesures.

Le trente-et-unième point concerne des moyens garantis et des formations renforcées pour exercer un mandat. Cette garantie de moyens sera définie par décret et nous renforcerons également l'accès aux formations pour mieux exercer un mandat. II y aura donc davantage de formation par mandataire.

Le trente-deuxième point est très important car il explique pour partie la difficulté qu'ont les organisations syndicales à renouveler leurs élus. Il porte sur l'accès à la formation professionnelle et au bilan de compétences acquises pour concilier un engagement syndical avec l'évolution professionnelle. Actuellement, les vocations syndicales sont insuffisantes, par crainte que les élus ne s'enferment dans leur mandat. Or, on acquiert des compétences économiques, sociales, managériales lors de l'exercice d'un mandat. Il faut mieux les reconnaître et permettre de concilier engagement et carrière professionnelle, par la formation dans le métier de base et par le bilan de compétences.

Les salariés s'engageant dans un mandat perdent trop souvent tout droit à la formation dans leur métier d'origine. Au bout de plusieurs années, leur reclassement dans l'entreprise et leur capacité à être promus s'en trouvent extrêmement obérés. On ne peut pas souhaiter le dialogue social et maintenir dans un tel état d'incertitude ceux qui doivent en être les partenaires. Il faut permettre la conciliation entre l'engagement et la carrière professionnelle. Nous encouragerons donc les accords de branche en la matière – il y a d'ailleurs explicitement une compétence nouvelle sur ce plan.

Le trente-troisième point vise à une plus grande facilité pour nommer un délégué syndical. Lorsque l'ensemble des élus obtenant 10 % des voix renoncent par écrit à leur droit d'être nommés délégués syndicaux, une organisation ayant obtenu 10 % pourra nommer délégué syndical un salarié ne figurant pas sur la liste. Dans certaines entreprises, les salariés élus ne veulent pas être délégués syndicaux, ce qui conduit à une carence de partenaires. Cela ne figure pas dans les ordonnances, mais nous avancerons dans les tout prochains mois.

Trente-quatrièmement, nous créons un observatoire de la négociation. Nous voulons plus de dialogue social et les délégués syndicaux sont les mieux formés pour négocier. Il faut regarder la progression de la négociation, quelle que soit la taille des entreprises. L'observatoire suivra aussi la discrimination syndicale, qui continue à exister et est inacceptable. Un rapport du Conseil économique, social et environnemental a bien mis en lumière ses ressorts.

Trente-cinquième point, nous renforçons les possibilités d'évolution vers l'inspection du travail : nous allons regarder comment faciliter l'accès par le troisième concours afin d'intégrer davantage d'anciens mandataires syndicaux ou patronaux. L'expérience de l'entreprise vient enrichir les compétences de l'inspection du travail.

Enfin, il s'agit de mobiliser un réseau de grandes écoles et d'universités volontaires pour former chaque année des militants syndicaux. Les premières expériences sont extrêmement concluantes, notamment sur les sujets économiques. Chaque organisation forme à la négociation, selon sa propre coloration, mais il est positif que les grandes écoles et les universités s'impliquent dans la compréhension des mécanismes profonds de gestion de l'entreprise.

Nous souhaitons aussi travailler avec elles sur l'intégration systématique des questions relatives au dialogue social et aux partenaires sociaux dans toutes les formations en ressources humaines (RH) et en management. Cela peut surprendre, mais le droit du travail n'est abordé dans de grands masters RH que juridiquement, sous l'angle de la défensive, et jamais comme un levier de dialogue social. C'est ahurissant et évidemment contraire à tout ce que nous prônons.

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