Je vais répondre aux questions posées, mais pas nécessairement à tous les commentaires.
La nouveauté sur laquelle le rapporteur m'a interrogée concerne les sujets réservés à la négociation de branche, ce que l'on appelle dans le jargon d'usage « le bloc 1 » : les classifications, les salaires minima, la prévoyance, la mutualisation des fonds de la formation professionnelle, etc. Treize sujets sont réservés à la négociation de branche. Dans les autres domaines, les branches peuvent négocier, mais on peut aussi le faire directement dans l'entreprise, par accord majoritaire. Si on ne négocie pas, c'est le niveau de la branche qui prévaut. On renforce ainsi le rôle du dialogue social dans la branche et, en même temps, il y aura plus de liberté pour les acteurs de terrain.
Ce qui nous divise dans cette salle, c'est la confiance. Soit on pense que les chefs d'entreprise veulent que leurs entreprises croissent et emploient et que les organisations syndicales, les élus du personnel, veulent qu'il y ait du progrès social, et alors pourquoi ne pas leur faire confiance pour trouver, dans le cadre d'un accord majoritaire, des voies adaptées à la réalité du terrain ? Soit on pense que les entreprises et les organisations syndicales ne sont pas capables de dialoguer et alors on administre la France. La ligne de partage des eaux est là. Il y aura beaucoup plus de champ pour la négociation.
Les observatoires départementaux sont importants : il faut suivre de près le processus. Le renforcement du dialogue social est un changement juridique mais aussi culturel. Un décret est en cours d'examen au Conseil d'État sur la composition et l'organisation de ces observatoires. L'enjeu est d'en faire un appui au dialogue social et d'alimenter les travaux de l'observatoire national, qui sera également essentiel.
Le renforcement du rôle des branches fait partie d'un ensemble cohérent qui fera porter l'attention sur la capacité des organisations syndicales et des élus à jouer pleinement leur rôle. C'est une des conditions du succès de l'ensemble du dispositif.
L'évaluation est, en effet, essentielle. On ne doit pas se contenter d'en faire une dans deux ou trois ans : il faut procéder par étapes. Certaines mesures d'application seront rapides et immédiates mais d'autres, comme la transformation du dialogue social, prendront nécessairement un peu plus de temps. J'ai nommé trois experts, dont les travaux pourront s'appuyer sur France Stratégie, la DARES et la direction générale du travail : Marcel Grignard et Jean-François Pilliard, qui sont bien connus, l'un dans le monde syndical et l'autre dans le monde patronal, et ont tous les deux cessé leur activité, ainsi que Sandrine Cazes, experte reconnue de l'OCDE sur ces sujets – elle apportera un regard à la fois national et international. Leurs travaux ont déjà commencé : le cadre de référence est en cours de définition avec France Stratégie, qui pourra organiser des travaux de chercheurs, et avec les administrations concernées. Il s'agit d'un changement social, qu'il faudra observer non pas seulement quantitativement mais aussi qualitativement. J'ai demandé qu'une première température soit prise dans six mois, sur la mise en place, puis à différentes étapes. Nous devrions avoir un bilan beaucoup plus complet dans deux ans.
La mobilisation des acteurs est un point essentiel. Vous savez que j'aime le concret et la transformation du réel, au-delà de la discussion sur les principes – ils doivent irriguer la réalité. Je constate un véritable élan sur le terrain, dont plusieurs d'entre vous m'ont aussi fait part. Cet élan a besoin d'être concrétisé, il faudra du temps, mais beaucoup de discussions ont déjà commencé dans les entreprises. Petit à petit, des chefs d'entreprise et des organisations syndicales de terrain réalisent quel champ du possible s'ouvre. Je crois que tout le monde ne s'en est pas encore rendu compte, même si l'on a compris que les cadres avaient évolué. Néanmoins, je suis assez confiante : sur le terrain, à mesure que les acteurs se rendent compte de cette possibilité, ils s'en saisissent de plus en plus. Ce sera évidemment à suivre dans la durée. D'où l'importance d'une évaluation un peu continue.
La sixième ordonnance sera un texte de cohérence légistique. Le code du travail comporte beaucoup de renvois internes et à d'autres codes. Le travail sur tous ces renvois et sur toutes les précisions à apporter ne pouvait pas être fait au mois d'août, en même temps que la rédaction des ordonnances. La majeure partie de la sixième ordonnance sera ainsi consacrée à des renvois techniques et à des toilettages nécessaires pour assurer une mise en cohérence. Sur quelques points, des éléments ont pu être mal rédigés, conduisant donc à un défaut de compréhension – jusqu'à présent, deux cas ont été repérés. Cette ordonnance sera soumise au Conseil d'État dans quelque temps, en tout cas en temps utile pour qu'elle soit connue avant la commission mixte paritaire (CMP) et la ratification finale.
En ce qui concerne le périmètre national, nous avions en effet mentionné « sauf fraude », mais le Conseil d'État nous a demandé de l'enlever, considérant que le juge en tiendra compte, par définition. Ce serait bien de l'écrire, mais je comprends la logique du Conseil d'État, pour qui les dispositions superfétatoires doivent être évitées. Il y a néanmoins un consensus sur le sujet : s'il existe une fraude, typiquement avec une remontée artificielle des bénéfices à la maison mère, en dépouillant une filiale, le juge peut déjà l'apprécier et il pourra encore le faire demain. Nous avons eu le même réflexe que vous, mais il n'y a pas de changement.
Madame la députée de Vaucouleurs, effectivement, le sujet des plans de départs volontaires – désormais appelés ruptures conventionnelles collectives – est important. Comme il s'agit d'accords majoritaires et de départs volontaires, les risques sont réduits. Subsiste surtout celui qu'une entreprise et ses organisations syndicales se mettent d'accord pour un plan de départs de « seniors » dont l'effet se déporterait immédiatement sur l'assurance chômage. Si une rupture conventionnelle collective avait pour seule visée de « faire de la préretraite » sur le dos de l'assurance chômage, si j'ose dire, cela contreviendrait à l'esprit du dispositif. Nous avons donc prévu une homologation par les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), auxquelles – j'en ai déjà prévenu les partenaires sociaux – j'ai donné des consignes expresses de vigilance. Pour le reste, effectivement, il y a beaucoup de réorganisations, à l'occasion desquelles de nombreux salariés, qui ont d'autres projets, notamment en milieu de carrière, veulent pouvoir partir dans de bonnes conditions. S'il y a des demandes et que c'est bien encadré par l'accord majoritaire, il n'y a pas de raison de ne pas le faire.
Madame la députée Agnès Firmin Le Bodo, j'ai répondu sur l'évaluation. Quant aux seuils, évoqués également par M. Viry, je me suis déjà expliquée au mois de juillet, je n'y reviens donc pas.
Monsieur le député Boris Vallaud, certains de vos propos m'étonnent toujours un peu. Il me semble que vous avez regretté que certaines dispositions n'aient pas été complètement mises en oeuvre sous le précédent gouvernement, mais je n'épiloguerai pas. Il est en tout cas inexact de prétendre que rien n'est prévu en fait de codécision puisque, précisément, nous l'encourageons dans le cadre du conseil d'entreprise. Pour la première fois, le principe de la codécision est introduit dans le droit du travail français, pour s'appliquer sur la base du volontariat, lorsque les entreprises et les syndicats en sont d'accord. C'est une évolution culturelle intéressante. J'ai déjà rencontré un certain nombre de chefs d'entreprise qui considèrent que la logique de l'entreprise doit intégrer toutes les parties prenantes et qui sont favorables à un partage de la valeur plus poussé ; ce sont un peu les mêmes qui sont favorables au management participatif. Ils ont maintenant un cadre juridique pour expérimenter la codécision s'ils le souhaitent ; ce n'était pas le cas auparavant.
Monsieur le député Quatennens, il n'y a de droit à l'erreur que sur la forme, non sur le fond. Il s'agit simplement d'éviter à de nombreuses TPE-PME qui n'ont pas de conseil juridique d'être condamnées pour des erreurs de forme, comme cela arrive parfois car le juge ne peut, en droit, distinguer entre fond et forme. Désormais, la forme ne pourra pas l'emporter sur le fond. Cela ne change strictement rien à la défense des salariés parce que c'est le fond du motif qui compte ; en revanche, cela évitera effectivement que des condamnations pour des erreurs de forme ne dissuadent d'embaucher. L'expérience du terrain le montre : chaque fois qu'un artisan est condamné pour une erreur de forme, ce sont trente autres artisans qui renoncent à embaucher.
Monsieur le député Dharréville, avec plus de quatre-vingts heures de débats, on ne peut pas prétendre que la représentation nationale était exclue – et je ne compte même pas la durée de la discussion du projet de loi de ratification. Par ailleurs, si 421 députés ont voté en faveur de la loi d'habilitation, c'est qu'il avait, selon eux, un certain sens. La démocratie politique a été respectée.