Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du jeudi 23 juillet 2020 à 9h00
Débat d'orientation des finances publiques pour 2021

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

Nous mesurons tous la difficulté que nous avons à débattre de l'orientation des finances publiques pour l'année 2021, dans un contexte si incertain. Il y aura, cela ne fait plus de doute, un avant et un après covid-19. La crise due à la pandémie a conduit les gouvernements de nombreux pays à faire le choix de mesures sanitaires draconiennes. Pour nécessaires qu'elles soient, elles ont eu un impact sur l'activité économique. C'est notamment le cas en France, pays qui a connu inévitablement un fort ralentissement et où certains secteurs d'activité demeurent fortement perturbés.

D'un strict point de vue budgétaire, cette situation s'est traduite par une dégradation inédite des comptes publics, due au double effet de la perte massive des recettes publiques et du coût des mesures adoptées pour tenter de circonscrire la crise. Cet épisode et la reprise économique, dont nous ignorons la forme qu'elle prendra, auront évidemment un effet durable sur les finances publiques. Nous savons en particulier que les choix politiques qui ont été faits depuis mars, ainsi que ceux des mois prochains, auront un impact, par leur ampleur et leur volume, sur la forme de cette reprise et conditionneront en partie le profil conjoncturel futur.

Avant de tenter de nous projeter en 2021, regardons en arrière. Contrairement à ce que nous entendons parfois, la France n'a pas abordé cette crise avec des finances publiques restaurées, alors même que la conjoncture était, en ce temps, relativement favorable.

En 2019, le déficit public s'est établi à 3 %, contre 2,3 % en 2018 : il est donc difficile d'y voir une amélioration, même en intégrant la transformation du CICE et la baisse des charges qui représentent 0,9 point de PIB. Surtout, rappelons que, sans le contexte macroéconomique relativement favorable d'alors, le déficit aurait été nettement plus élevé.

Les dépenses ont, dans le même temps, continué de progresser, à un rythme plus soutenu que l'année précédente – 1,8 %, soit trois fois plus que l'objectif de 0,6 %. Il en résulte qu'en 2019, le déficit structurel n'a pas été réduit à 2,2 points de PIB. Nous sommes loin de l'objectif de moyen terme fixé à -0,4 point de PIB par la loi de programmation des finances publiques 2018-2022.

Que disent ces chiffres ? Simplement que notre pays a abordé la crise sanitaire avec des marges d'action insuffisamment restaurées : il n'a pas profité de la période de conjoncture assez favorable des années précédentes.

Je tenais à faire ce rappel, car ces éléments ont tendance à être occultés par l'ampleur du choc occasionné par la crise actuelle. Disant cela, je ne mésestime pas les difficultés qu'il y avait à mener une telle politique à l'époque ni la volonté que cela aurait supposé.

Pour mesurer les effets de ces facteurs, il suffit de mettre en regard les prévisions et les dispositions de la loi de finances initiale avec les trois collectifs budgétaires adoptés depuis. Ainsi, le déficit public pour 2020 était prévu initialement à un peu plus de 50 milliards d'euros et le troisième projet de loi de finances rectificative prévoit qu'il s'établira à 250 milliards d'euros. De l'arrêt d'une grande partie de l'activité économique découlera, bien évidemment, une chute des rentrées fiscales, donc des ressources de l'État. Les estimations du Gouvernement le confirment bien, avec une perte de recettes publiques de près de 135 milliards, laquelle explique les deux tiers environ du relèvement du déficit à 11,5 % du PIB.

Ce relèvement résulte également des dispositifs de soutien que le Gouvernement a présentés dans ses trois lois de finances rectificatives. Leur impact direct sur le déficit public est estimé à plus de 57 milliards. Au total, face à l'urgence, l'État a joué le rôle d'assureur en dernier ressort de l'économie et des revenus, ce que le groupe Libertés et territoires salue. D'autres pays ont fait de même, les règles ordinaires de conduite des finances publiques au sein de la zone euro ayant été nécessairement suspendues.

Tous ces facteurs auront, sur les finances publiques, des effets sur le long terme. Les perspectives d'évolution pour le second semestre 2020, et a fortiori pour 2021, restent marquées d'une très grande incertitude. Les analyses des économistes divergent. Trois scenarii se dessinent : celui d'un rattrapage, celui d'une perte limitée et enfin celui d'une faiblesse persistante. Chacun se différencie par l'ampleur du rebond de l'activité après 2020 et le degré de récupération de l'économie à moyen et long terme.

Aujourd'hui, le Gouvernement table sur un rebond de 8 % du PIB en 2021, hors effet du plan de relance à venir. Le PIB en 2021 demeurerait donc inférieur de quelque 4 % à son niveau de 2019. Vous pariez sur une hypothèse de rebond total à terme. Espérons-le. Notons cependant que le retour de la croissance ne permettra pas, à lui seul, le rétablissement de nos finances.

La Cour des comptes estime, pour sa part, qu'une telle hypothèse est optimiste, tout en rappelant que la convalescence des finances publiques sera, dans le meilleur des cas, progressive. Le déficit pourrait certes diminuer assez rapidement en cas de rebond vigoureux, mais la dette resterait encore supérieure, au bout de dix ans, à son niveau d'avant la crise. Or la France ne peut laisser filer son endettement sans s'exposer à des difficultés majeures à moyen et long terme. Ainsi le risque d'une hausse des taux d'intérêt dans l'ensemble de la zone euro ou dans les pays les plus endettés pèse sur notre avenir.

C'est dans ce contexte que nous appelons à la vigilance. Nous nous devons d'initier une relance tout en assurant le sérieux budgétaire, même si cela peut paraître contradictoire. Nous avons pris connaissance de la volonté du Gouvernement de cantonner, dans une structure spécifique, la dette issue de la crise. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer ses constituants et leur montant ? Nous les ignorons.

Si cette mesure a le mérite de distinguer la part de dette qui relève du covid-19, il n'en reste pas moins que le montant total de la dette n'en sera pas modifié. Si votre projet est de rembourser cette part de la dette par un nouveau prolongement de la CRDS, ne pourrait-on pas considérer qu'il s'agit d'une augmentation d'imposition qui ne dit pas son nom ? C'est dans cette perspective que nous devons, dans le prochain budget de relance, assurer les moyens de nos ambitions et limiter le recours à l'endettement. En creux, nous devons donc nous poser la question de la participation exceptionnelle de certains à l'effort de solidarité nationale.

L'équation se complique encore si l'on considère que nous devons impérieusement amorcer sans attendre la relance. Les prévisionnistes situent le début de la vague de défaillances d'entreprises au quatrième trimestre 2020. Les mêmes évoquent une augmentation du nombre de demandeurs d'emplois à hauteur de 1 million d'ici à 2021, ainsi que la fragilisation durable de pans entiers de notre économie, même les plus performants. C'est pourquoi l'urgence doit être de préserver à tout prix les emplois à haute valeur ajoutée dans nos territoires, car ils sont indispensables au maintien de leur attractivité comme à la solidité générale de l'économie et de la vie sociale.

Nous voyons là une opportunité pour la transition de notre économie. Le groupe Libertés et territoires considère que la relance que nous appelons de nos voeux doit concilier l'ambition économique et l'impératif écologique. Il s'agit d'une occasion historique, par les montants financiers mobilisés, pour prévenir de nouvelles crises en accélérant la transition écologique grâce à un plan de relance vert.

Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a esquissé un plan de relance de 100 milliards d'euros, sans doute étalé sur deux ans. Nous avons appris, depuis, que 40 milliards proviendraient du plan de relance européen, dont nous nous félicitons de l'adoption. Vingt milliards seraient consacrés à la transition écologique, sans que nous sachions précisément, à ce stade, combien financeront la rénovation thermique des bâtiments, combien les technologies vertes, combien une alimentation de qualité. Nous saluons cette démarche mais constatons qu'elle se limite pour l'heure à 20 % de l'enveloppe globale, alors que le plan européen prévoit une part de 30 %.

En d'autres termes, ces montants, bien que significatifs, suffiront-ils à prendre le virage écologique tant annoncé et à faire de la France l'économie la plus décarbonée d'Europe ? La question est posée. Ces mesures ne peuvent s'inscrire uniquement dans le cadre du plan de relance. Ainsi, selon l'Institut de l'économie pour le climat, dans le cadre d'une stratégie bas carbone efficace, 9 milliards d'euros par an sont nécessaires pour le bâtiment, les transports et l'énergie. Êtes-vous prêts à vous engager sur une telle enveloppe ? La question est également posée.

L'endettement pour la transition écologique est, nous en sommes persuadés, un endettement sain, rationnel et efficace. Un plan de relance vert pourrait soutenir des centaines de milliers d'emplois. Aujourd'hui, les conditions sont réunies pour réussir une relance différente de celle qui a suivi la crise de 2008. Les Français le souhaitent, nous y sommes prêts. Nous vous attendons.

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