Nous ne pouvons pas débattre de l'orientation des finances publiques pour 2021 sans aborder la question du choc immense qu'a représenté la crise sanitaire pour les finances publiques de notre pays. Les indicateurs macroéconomiques sont au rouge et cette dégradation est, comme nous le savons tous, très inquiétante pour le futur de notre économie qui s'apprête à traverser une crise sans précédent. C'est avec trop de légèreté que nous l'avons abordée : les chiffres actuels en sont la preuve.
Nous nous apprêtons en effet à subir une contraction de 11 % de notre PIB, contre une prévision, avant la crise, d'une croissance de 1,3 % pour 2020. Le déficit de l'État, lui, doit s'établir à 11,4 % du PIB. Les sommes en question sont considérables puisque nous parlons de 222 milliards d'euros de déficit pour l'État, de 52 milliards pour la sécurité sociale et de 30 milliards pour le régime des retraites, sur lequel nous reviendrons plus tard.
La dette publique s'envole à plus de 121 % du PIB, et la dépense publique dépasse les 66 %. Les pertes de recettes fiscales sont évaluées à près de 70 milliards d'euros. On nous annonce une perte d'environ 800 000 emplois pour l'année 2020, ce qui fera bondir le taux de chômage jusqu'à 11,5 % au cours de l'année à venir.
Ces chiffres exceptionnels sont à mettre, bien entendu, sur le compte de la crise sanitaire, du ralentissement de l'économie imposé par le confinement, et désormais d'une récession inédite. Mais ces mauvaises prévisions ne seraient pas aussi alarmantes si la situation d'avant-crise de la France n'avait été aussi fragile. Hélas, avant même la covid-19, le ver de la dette était déjà dans le fruit.
En effet, alors que la France a connu une période favorable entre 2017 et 2019 et que notre économie aurait pu en profiter, nos dépenses n'ont cessé d'augmenter. Jamais vous n'avez su ou, plus exactement, jamais vous n'avez voulu contenir notre déficit et notre dette. C'est malheureusement dans cette situation très défavorable que nous avons abordé la crise. Vous avez une grande part de responsabilité dans cette situation de fragilité relative par rapport à nos voisins. Ainsi plutôt que de profiter d'une conjoncture favorable pour entreprendre des réformes structurelles et entamer des efforts pour contenir notre dette, nous avons laissé filer l'occasion d'assainir nos finances publiques.
Cette mauvaise performance française explique aussi que la crise frappe bien plus durement notre pays que nombre de ses voisins. Rappelons que la contraction du PIB allemand ne devrait être que de 6,3 %, et seulement 4,6 % pour la Pologne.
Jeter un regard sur la France d'avant le covid-19, c'est voir que nous étions déjà les champions d'Europe des dépenses publiques, qui représentaient 55,5 % du PIB contre une moyenne de 46 % en Europe. Nous occupions également la première place en matière de prélèvements obligatoires, frôlant les 44 % contre 41 % en moyenne européenne. Les chiffres du déficit et de la dette française n'étaient guère plus encourageants : nous avions l'un des pires déficits de la zone euro – 3 % du PIB contre 0,9 % pour l'ensemble de la zone – et notre dette s'élevait à près de 100 % du PIB quand l'Allemagne la maintenait à 60 % seulement, et l'Union européenne à 80,7 %. Enfin, comme l'a brillamment démontré Gilles Carrez, notre dette est détenue aux deux tiers par des intérêts étrangers, ce qui pose un problème indéniable de souveraineté.
Ce panorama n'est pas brillant. Nous l'avons pourtant dressé, mois après mois, pour vous mettre en garde. Nos voisins allemands font, une fois encore, figure de bon élève et leur gestion des finances publiques avant et pendant la crise doit nous conduire à réfléchir. Parce que notre voisin outre-Rhin a su réduire ses dépenses publiques, il a pu injecter de l'argent dans son économie afin de la soutenir sans être menacé par le surendettement que la France risque de connaître dans les mois et années à venir. L'économie allemande a ainsi pu bénéficier d'un effort financier de 1 000 milliards d'euros, environ 30 % de son PIB, quand la France n'a injecté, en comparaison, que 460 ou 470 milliards, soit 19 % de son PIB.
M. le ministre de l'économie a évoqué, il y a quelques instants, un risque de décalage avec l'Allemagne : oui, ce risque est réel. Nous sommes en queue de peloton au niveau européen au regard de la gestion économique de la crise : nous avons été touchés plus durement et nous nous en remettons – ou remettrons – plus lentement. Au premier trimestre, la récession française a été la pire de toute la zone euro, avec une chute de 5,8 % du PIB. L'Allemagne n'a perdu que 2 % de son PIB sur la même période, suivie de près par l'Autriche, à 2,5 %. L'Espagne et l'Italie, pourtant violemment touchées par la crise, ont subi une baisse de 5,2 % et 4,7 % de leur PIB respectivement.
Cet état des lieux et ces comparaisons doivent nous mettre en garde, alors que nous nous apprêtons à voter, cet après-midi, en lecture définitive, un troisième projet de loi de finances rectificative. Les mesures de soutien déployées depuis le début de la crise étaient évidemment nécessaires et nous les avons toutes votées par esprit de responsabilité. Mais elles ne peuvent pas pour autant nous dispenser de concevoir au plus vite un plan de relance ambitieux et efficace. Le 24 août, il sera déjà trop tard !
Par ailleurs, cette relance ne sera pas pérenne si nous continuons à nous reposer sur l'augmentation sans fin de la dette publique. Les perspectives des années à venir ont été bouleversées par la crise et les orientations à donner à nos finances publiques en subiront l'impact très directement.
Tout d'abord, la dette ne peut pas durablement contribuer à financer des dépenses de fonctionnement, qu'il s'agisse du paiement des fonctionnaires ou des transferts sociaux. Le financement par la dette – l'argent magique ! – est extrêmement risqué à long terme, car si les taux d'intérêt jouent actuellement en notre faveur, rien ne garantit absolument qu'ils resteront aussi bas longtemps encore. La dette perpétuelle est une illusion ; elle serait en réalité un désastre en nous faisant perdre durablement la confiance de nos investisseurs. Et compter sur la reprise incertaine de la croissance pour la financer serait une erreur, comme l'a relevé la Cour des comptes.
Sur notre situation de long terme, la Cour des comptes rappelle hélas que, hors charges d'intérêts, le déficit structurel n'a pas baissé depuis 2015. Cette crise doit donc à tout prix déclencher une prise de conscience : les dépenses publiques doivent baisser, comme nous ne cessons de le répéter, et des efforts plus conséquents doivent être faits pour assainir les finances publiques françaises. Chaque nouvelle dépense dans un secteur devrait et devra être équilibrée, et compensée par une baisse de dépense dans un autre domaine. Enfin, la baisse des dépenses publiques ne pourra certainement plus passer par des hausses de prélèvements obligatoires qui étouffent déjà tant les Français, comme je l'ai évoqué il y a quelques instants.