Madame Vainqueur-Christophe, s'agissant de la pénibilité, le dispositif adopté par le Gouvernement précédent était juste, mais inapplicable. Tout le monde reconnaît qu'il est juste que des conditions de travail pénibles permettent de partir à la retraite à taux plein deux ans plus tôt. Mais une partie seulement des dix risques identifiés était facilement mesurables ; pour le reste, le dispositif était simplement inapplicable, en particulier dans les TPE et PME. La sous-déclaration était massive, et on l'aurait constaté au mois d'octobre – malgré les pénalités prévues. Demander à un artisan ou à un agriculteur de mesurer chaque jour le nombre d'heures pendant lesquelles son salarié a porté des charges lourdes, c'est ubuesque.
Nous avons préféré un droit réel à un droit formel. Pour les six premiers risques, nous n'avons rien changé. Pour les trois restants qui relèvent de l'ergonomie, le dispositif précédent était inapplicable, je l'ai dit, mais de plus exigeait que le salarié ait accumulé des points pendant environ dix-sept ans pour pouvoir faire valoir ses droits : il concernait donc plutôt les salariés de demain. Désormais, un examen médical permettra de mettre en évidence les conséquences de ces conditions de travail pénibles – c'est parfaitement mesurable, dans le cas par exemple des troubles musculo-squelettiques. Et la personne pourra partir immédiatement à la retraite à taux plein. C'est donc un droit qui s'applique dès maintenant.
Ce n'est donc pas moins, mais plus de salariés qui seront concernés : d'après nos estimations, 10 000 personnes pourront profiter dès 2018 d'une retraite à taux plein, ce qui n'aurait pas été possible auparavant, soit parce qu'il n'y a pas eu de déclaration, soit parce que le système à points ne leur aurait permis de partir que longtemps après.
Reste le risque chimique. Sur ce point, vous avez raison : nous n'avons pas eu le temps, au cours de l'été, de trouver une solution, et le travail n'est pas terminé. La particularité du risque chimique est que ses conséquences ne seront constatées que des années plus tard. C'est pourquoi j'ai confié – l'annonce officielle en sera faite demain – une mission sur ce sujet au professeur Paul Frimat, spécialiste de la santé au travail, qui me fera des propositions d'ici à la fin de l'année.
Nous incitons aussi fortement à la prévention. Le financement des trois risques que je mentionnais sera assuré par la branche Accidents du travail et maladies professionnelles (AT–MP) : en l'absence de prévention, les entreprises verront leurs cotisations augmenter dans quelques années. C'est une incitation. Par ailleurs, la prévention doit être discutée par les branches.
Notre dispositif est ainsi, je crois, complet – risque chimique mis à part : il est effectif immédiatement, et tous pourront y avoir droit.
Madame Janvier, nous devons acquérir le réflexe d'inclure le travail handicapé dans chacune de nos réflexions ; les mesures spécifiques se révèlent en général assez peu protectrices, et surtout très peu inclusives. Or la grande majorité des travailleurs handicapés souhaitent travailler, et le peuvent, sous réserve d'adaptation ; et ils apportent beaucoup aux entreprises – ils constituent un véritable atout.
Le télétravail ouvre en effet de nouvelles pistes. Il doit être encadré, et c'est un sujet que les négociations d'entreprise aborderont certainement. Nous avons renforcé, je le disais, le rôle des branches. En effet, qui dit branche dit secteur d'activité, et donc spécificité des métiers. De même, le code du travail numérique sera un outil intéressant.
Sophie Cluzel et moi-même souhaitons briser le plafond de verre qui s'est mis en place – nous ne dépassons pas le chiffre de 3,2 % de travailleurs handicapés. Nous faisons moins bien que d'autres pays ; il n'y a donc pas de fatalité. Les dispositifs instaurés il y a une vingtaine d'années ont été efficaces, mais jusqu'à un certain point seulement. Il faut trouver de nouveaux moyens pour permettre aux travailleurs handicapés de travailler. Il n'est pas acceptable que leur taux de chômage soit le double du taux général.
Nous avons prévu que les réformes de l'apprentissage et de la formation professionnelle incluront cette question. L'accès plus faible à la formation est un aspect crucial du problème, au-delà de l'adaptation des postes : le taux d'accès à l'apprentissage des personnes handicapées est extrêmement faible. Les travailleurs handicapés sont moins qualifiés, or c'est bien aujourd'hui le travail qualifié qui donne accès à l'emploi. Une sorte de double peine s'est instaurée : Jean-Michel Blanquer et Sophie Cluzel en sont très conscients et travaillent à l'inclusion des enfants handicapés tout au long du processus scolaire ; je pense notamment au maintien des emplois destinés à l'accompagnement de ces enfants.
Mais nous y reviendrons, car c'est un sujet insuffisamment présent aujourd'hui.
Monsieur Hammouche, c'est vrai, une partie du patronat se méfie du syndicalisme. Mais en quarante ans, j'ai vu cette défiance diminuer. Le paysage syndical se modifie aussi ; toutes les organisations syndicales signent la plupart des accords, même si certaines signent plus que d'autres. La défiance est des deux côtés ; bâtir la confiance, la renforcer, c'est tout l'objet de ces ordonnances.
C'est la première fois que la loi reconnaît aussi clairement la discrimination syndicale : j'ai repris à mon compte le rapport du CESE et j'ai assigné à l'observatoire national pour l'évolution des carrières syndicales l'objectif de lutter contre la discrimination. Nous mènerons ainsi avec le Défenseur des droits un travail sérieux, commun, continu. La discrimination contribue évidemment à la méfiance.
La confiance ne se décrète pas ; mais le cadre dessiné par les ordonnances, en donnant plus de grain à moudre aux négociateurs, accroîtra la valeur ajoutée du dialogue social. Pour arriver à des accords majoritaires, il faut des partenaires ! Nous créons ainsi une dynamique, et encourageons la majorité, qui souhaite un dialogue. Nos valeurs républicaines nous commandent d'organiser un dialogue structuré, construit. Les syndicats doivent se rapprocher des salariés, mais toutes les mesures dont nous avons parlé y contribueront.
Nous n'avons finalement pas retenu le chèque syndical, car il n'y avait pas de demande, tant du côté du patronat que des syndicats. Certaines entreprises l'expérimentent. Mais il nous a paru préférable d'accorder la priorité aux carrières, à la formation, à la reconnaissance et à la lutte contre les discriminations.
Encore une fois, il y a désormais énormément de choses qui peuvent être discutées : c'est une très forte incitation au dialogue social.
Monsieur Taugourdeau, sur le point que vous évoquez, nous n'avons pas modifié le droit. Les ordonnances permettent de modifier à la fois l'organisation du travail et le temps de travail. Il existe dans certains domaines des dispositions spécifiques – je pense par exemple au transport maritime, où il est impossible aux marins de revenir au port toutes les nuits… Dans le cas que vous évoquez, des dérogations sont possibles. La souplesse sera désormais beaucoup plus grande. Mais il faut conserver des dérogations, car il faut rester prudent, afin d'éviter par exemple des accidents du travail dus à la fatigue.