Intervention de Frédérique Vidal

Séance en hémicycle du lundi 27 juillet 2020 à 16h00
Bioéthique — Présentation

Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation :

Ce texte, que j'ai eu l'honneur de défendre une première fois devant vous à l'automne 2019, transcrit des engagements forts de ce gouvernement, engagements qu'il n'a jamais été question de négliger ou de trahir. Notre présence ici devant vous, pour cette deuxième lecture, en est l'illustration la plus manifeste.

Mais si ce texte est porteur d'engagements, il est aussi porteur d'espoir pour nos concitoyens et, s'agissant du titre IV, qui concerne plus particulièrement mon ministère, pour la communauté scientifique. La crise sanitaire a mis en lumière l'extraordinaire travail et la qualité de notre recherche, et je veux saluer l'engagement sans faille de nos chercheurs qui, depuis des semaines, redoublent d'efforts pour nous aider à comprendre et à endiguer cette pandémie. Le projet de loi de programmation pluriannuelle pour la recherche, que j'ai présenté en conseil des ministres mercredi dernier, leur donnera les moyens de poursuivre ce formidable travail grâce à un investissement sans précédent de 25 milliards d'euros supplémentaires sur les dix prochaines années.

Le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui répond, lui aussi, à un besoin spécifique de nos chercheurs, celui d'une liberté encadrée, définie strictement par la loi : c'est le principe même de notre droit de la bioéthique que de leur permettre de produire les idées et les connaissances dont nous avons besoin et de leur fournir les leviers nécessaires à cette fin, mais dans le cadre strict de nos principes et de nos valeurs.

En examinant à nouveau ce projet de loi avec vous, je veux croire que cette période troublée que nous venons de traverser aura permis de raffermir le lien de confiance entre la société et la communauté scientifique. Car, au fond c'est bien là tout l'enjeu d'une loi de bioéthique : elle porte des interrogations et des questionnements que nous avons tous en partage, qui ne sont pas la chasse gardée des spécialistes, juristes ou scientifiques ; et c'est pourquoi la révision périodique de cette loi, spécificité de notre pays, est si essentielle et si remarquable. Chacune des lois votées depuis 1994 a permis de faire se rencontrer la société et les avancées de la science. Je crois que cette rencontre est plus que jamais nécessaire ; je dirai même qu'elle est indispensable.

De nombreux questionnements ont émergé en première lecture, dans votre assemblée puis au Sénat, qui a voté le texte au mois de février dernier en l'amendant en grande partie. Toutes les questions posées ne sont pas encore résolues mais la réflexion collective progresse, qu'il s'agisse de la recherche sur l'embryon, sur les cellules souches embryonnaires ou sur les cellules souches induites. J'ai entendu, là encore, les réserves et les craintes de certains, et je tâcherai bien évidemment, comme je m'y étais employée lors de nos précédents débats, de leur apporter toutes les garanties qui sous-tendent les dispositions de ce projet de loi, et plus particulièrement de son titre IV. Mais, en dépit des clivages et des oppositions qui fort logiquement se sont fait entendre, la discussion a toujours répondu à cette double exigence de dignité et de respect que nous devons à nos concitoyens lorsque nous abordons de tels enjeux. Je sais que l'Assemblée nationale sera à nouveau au rendez-vous de cette exigence, comme elle l'a été lors de l'examen du texte en première lecture.

L'ambition de ce projet de loi, les avancées comme les évolutions qu'il porte pour nos concitoyens et pour nos chercheurs, vous les connaissez bien maintenant, mesdames, messieurs les députés, puisque nous avons eu des débats de grande qualité l'automne dernier et vous en avez encore eu, il y a quelques semaines ici, en commission spéciale. Et je tiens à saluer le travail de cette commission, présidée par Mme Agnès Firmin Le Bodo : il a permis de rétablir les grands équilibres du titre IV tel qu'il avait été voté à l'Assemblée nationale en première lecture, avant d'être modifié par le Sénat.

Je voudrais néanmoins revenir sur quelques fondamentaux, en vous rappelant d'abord que le présent projet de loi définit un cadre juridique rénové pour notre recherche, fondé sur près de deux décennies d'expérimentations éprouvées au sein des laboratoires comme par l'Agence de la biomédecine et aussi sur les progrès scientifiques les plus récents, ce qui nous permet désormais d'aborder différemment ces sujets.

Les questionnements relatifs à la recherche sur l'embryon demeurent. Ils sont néanmoins actualisés par les percées scientifiques les plus récentes, qu'il s'agisse des nouvelles techniques de dérivation des cellules souches embryonnaires, de la découverte des cellules souches pluripotentes induites – IPS – ou encore des expérimentations sur les embryons chimériques.

En matière de recherche sur l'embryon, le texte prévoit d'autoriser les chercheurs à conduire des études incluant l'édition du génome d'embryons qui, ne faisant plus l'objet d'un projet parental, sont destinés à être détruits. Ces recherches apportent des connaissances essentielles à la compréhension du rôle de nos gènes dans les mécanismes de différenciation cellulaire lors du développement et dans d'autres processus physiologiques ou pathologiques.

L'évolution récente des techniques permet désormais d'observer ces embryons dans des phases plus longues de leur développement. C'est pourquoi nous avons proposé de fixer une limite de quatorze jours à cette observation – limite dont je me réjouis que l'Assemblée nationale l'ait adoptée en première lecture. Cette durée, je le rappelle, est loin d'être arbitraire : elle est fondée sur un consensus scientifique international. Le Sénat a souhaité introduire une dérogation à ce plafond limite en le portant à vingt et un jours pour les recherches portant sur le développement embryonnaire. Je prends acte du rétablissement de la limite de quatorze jours, voté en commission spéciale en début de mois.

Je veux également réaffirmer ici très clairement les interdits majeurs que confirme le projet de loi : la création d'embryons à des fins de recherche est proscrite, tout comme la modification du patrimoine génétique transmissible à la descendance et l'intégration de cellules animales dans un embryon humain. Le présent texte protège notre modèle, mais respecte et réactualise le questionnement spécifique à l'embryon, tout en faisant barrage à toute possibilité de clonage et de modification du patrimoine génétique d'un embryon destiné à être implanté. Pour autant, il permet de réserver des espaces propices aux innovations thérapeutiques que nous pourrions mettre au point si nous comprenions mieux les mécanismes de développement et de différenciation cellulaire.

Les espoirs thérapeutiques soulevés par les cellules souches embryonnaires nécessitent de modifier le régime juridique auquel la recherche sur ces cellules est soumise. Ce dernier se confond avec celui qui encadre la recherche sur l'embryon. Nous maîtrisons pourtant des techniques avancées permettant de dériver des lignées très longues et parfois très anciennes de cellules souches : les cellules souches utilisées dans nos laboratoires sont majoritairement issues de lignées dérivées il y a plus de vingt ans et ne résultent donc plus de la destruction d'un embryon. Ce qui interpelle, finalement, c'est donc moins l'origine des cellules souches que notre capacité à dériver les lignées actuelles sans les altérer et en conservant leur potentiel pluripotent. C'est pourquoi nous proposons d'alléger le régime applicable à la recherche sur les cellules souches, laquelle serait désormais soumise à un régime de déclaration auprès de l'Agence de la biomédecine.

Le présent projet de loi rend également compte de la manière dont le législateur peut se saisir de l'actualité scientifique la plus récente, à travers la question des cellules souches pluripotentes induites. Ces dernières peuvent certes évoluer jusqu'à un stade très proche de celui des cellules souches embryonnaires, mais, alors que les cellules souches embryonnaires peuvent devenir n'importe quel autre type de cellules humaines, tel n'est pas le cas des cellules induites, dont les évolutions sont, en l'état actuel de nos connaissances, plus limitées. Autrement dit, si la découverte des IPS constitue un événement scientifique majeur, ces cellules ne constituent pas une alternative à la recherche sur les cellules souches embryonnaires ou sur l'embryon. C'est donc un territoire nouveau de la connaissance que nous devons intégrer dans le cadre rénové défendu à travers le présent projet de loi.

Notre capacité à dériver des cellules souches n'épuise naturellement pas la nécessité de poursuivre la recherche sur l'embryon : les chercheurs auront besoin de produire de nouvelles connaissances. C'est pourquoi il est essentiel que nous continuions à travailler dans ces domaines.

Il me semble fondamental de revenir quelques instants sur la question des embryons dits chimériques. Ces expérimentations, je le sais, interpellent. Elles suscitent des interrogations, et parfois des fantasmes, sur le travail réellement réalisé par les chercheurs. Les « chimères » ne correspondent pas à des manipulations génétiques : il ne s'agit en aucun cas de modifier le génome, de franchir la barrière des espèces, ni de produire des animaux doués de conscience ou d'autres facultés humaines. Il s'agit d'observer dans un cadre différent les mécanismes permettant de comprendre le développement normal ou pathologique et de proposer de nouvelles pistes thérapeutiques.

Le cadre actuel de la loi interdit très clairement l'introduction de matériel génétique animal dans un embryon humain et cette interdiction absolue demeure, mais la loi ne dit rien des manipulations inverses nécessaires à la recherche lorsqu'il s'agit d'agglomérer des cellules souches embryonnaires humaines à un embryon animal. Nous avons fait le choix de clarifier cette situation et de définir enfin un cadre juridique intelligible pour ces techniques sur lesquelles beaucoup d'espoirs sont fondés – notamment celui de produire des modèles animaux qui permettront de mieux comprendre certaines pathologies humaines et de développer des traitements – , afin de garantir la confiance de la société envers la communauté scientifique.

Comme vous le voyez, c'est en ouvrant de nouvelles voies, en traçant de nouvelles limites, mais aussi en réaffirmant des lignes rouges que ce texte dessine les contours d'une recherche à la fois libre et responsable. L'intention du Gouvernement est que le débat se poursuive dans les conditions de sérénité nécessaires pour que nous parvenions, avec le Sénat, à un point d'équilibre sur ces différentes questions.

Vous l'aurez constaté, les sujets de débat ne manquent pas. Nous aurons à nouveau le privilège de les explorer ensemble et d'en tirer tous les fils et toutes les conséquences au long de cette semaine.

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