Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Séance en hémicycle du lundi 27 juillet 2020 à 16h00
Bioéthique — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAgnès Firmin Le Bodo, présidente de la commission spéciale :

Les faiblesses de l'humain sont nombreuses qui font le bonheur des romanciers ou des cinéastes – des faiblesses mineures qui nous font choisir la facilité, aux faiblesses lourdes qui amènent aux trahisons coupables. Le législateur a pour mission, si ce n'est de les éviter, ce serait présomptueux, du moins de les rendre inoffensives ou de les rendre acceptables. Avoir conscience de nos faiblesses nous pousse à imaginer et nous approprier des limites pour progresser. C'est le but des lois bioéthiques. Mais il ne s'agit surtout pas de limiter seulement ; il s'agit aussi d'ouvrir, d'espérer, de progresser : chemin étroit, chemin exigeant, chemin que nous avons emprunté ensemble avec sérieux et beaucoup de travail. Je vous sais gré, chers collègues, d'avoir fait ce travail ardu avec honnêteté et respect. Les rapporteurs – et je souhaite un prompt rétablissement à Jean-François Eliaou que nous espérons retrouver en fin de semaine – vous ont présenté l'essentiel des dispositions et je les en remercie, tout comme je les remercie vivement de leur travail fourni, intense et patient : il nous a permis d'avancer pas à pas dans l'écoute et le respect. Les administrateurs ont également contribué à la qualité de notre travail et je les en remercie eux aussi très chaleureusement.

Entre le « bio » de la connaissance biologique et l'« ethos » des valeurs humaines, le législateur a dû établir des textes suffisamment précis pour exercer la médecine et la recherche avec sûreté tout en évoluant dans un cadre éthique, accepté par le plus grand nombre, le tout en se heurtant à une évolution des techniques scientifiques ne suivant pas le rythme des révisions législatives.

La révision que nous examinons aujourd'hui nous amène à prendre des décisions excessivement difficiles, guidées certes par des données concrètes et scientifiques mais aussi par des rencontres, des discussions, nos vécus respectifs, notre éducation, toutes choses qui forgent notre intime conviction. Celle-ci pourrait devenir un écueil mortifère, mais elle peut également nous servir de boussole si on l'éclaire avec l'éthique qui nous est si chère. Il n'y a de progrès que dans l'équilibre, et c'est vers cet équilibre que nous avons travaillé.

La bioéthique est née d'une indignation devant des abus ou des nouveautés vécues comme des transgressions. Après la seconde guerre mondiale, les essais menés dans les camps de la mort ont sidéré, les progrès de la recherche ont été rapides et la recherche biomédicale est montée en puissance. Puis, dans la lignée de 1968, les exigences de rentabilité des laboratoires ont questionné le rapport entre exigence bioéthique et liberté des chercheurs. Plus tard, les interrogations se sont portées sur la façon dont concilier les principes de la déclaration des droits de l'homme et la recherche médicale, notamment dans ses applications concrètes. Enfin, plus récemment, les législateurs ont tenté de rendre ces principes plus concrets pour normer la pratique scientifique. C'est l'objet des lois bioéthiques dites à la française.

Celles-ci sont structurées par trois grands principes : d'abord la dignité – primauté de la personne humaine, respect de l'être humain dès le commencement de sa vie, absence de caractère patrimonial du corps humain, inviolabilité et intégrité de l'espèce humaine – , ensuite la solidarité – notamment celle témoignée par l'assurance maladie obligatoire et l'égal accès aux soins – , enfin la liberté – qui vise à préserver la part de vie privée, donc l'autonomie de l'individu dans ses choix. Ces principes guident nos lois bioéthiques et ont bien sûr guidé nos débats pour cette révision dont l'objet était multiple, qu'il s'agisse des préoccupations liées aux progrès en génétique, aux développements dans le domaine de l'intelligence artificielle appliquée à la santé et aux développements dans le champ des neurosciences, ou des préoccupations liées aux aspirations sociales, avec des questions comme l'assouplissement du cadre juridique actuel pour l'accès à la PMA pour les couples de femmes et les femmes célibataires, la possibilité de prélever et conserver ses ovocytes ou l'ouverture de droits nouveaux avec accès à l'identité du donneur de gamètes pour les enfants nés de PMA avec tiers donneur.

Il s'agissait également de conforter et d'accompagner la solidarité dans le cadre du don d'organes de tissus et de cellules et de poursuivre l'amélioration de la qualité et de la sécurité des pratiques du domaine de la bioéthique.

La bioéthique nécessite une réflexion ample et collective. Elle rend indispensable le doute qui doit être confronté à nos certitudes, sans jamais oublier l'humain derrière les prouesses technologiques et la force du désir. Il s'agit bien de créer un pont entre la recherche, la médecine et la société. L'augmentation des possibles que nous offre la science engage chacun à s'interroger sur ce qui lui semble acceptable. C'est pourquoi la question du monde que nous voulons avoir pour demain est fondamentale pour la bioéthique. Il est donc très important d'avoir une pluralité de points de vue sur le monde pour décider, ensemble, ce qui nous semble juste.

Réviser les lois de bioéthique est un signe de grande vitalité d'une démocratie : il faut en effet être sûr de la qualité du débat démocratique pour se lancer périodiquement dans un chantier dont on sait qu'il soulèvera les passions et l'émoi. C'est un exercice difficile, enrichissant et délicat, qui nécessite une grande confiance pour organiser des débats parfois houleux mais toujours riches, de l'apaisement pour discuter sans invective et du respect pour admettre l'expression d'avis contraires.

Il faut aussi beaucoup d'humilité pour accepter de voir nos points de vue discutés voire, parfois, vaciller sur des certitudes acquises de longues date, fruits d'une éducation, d'un vécu, d'expériences essentiellement fondées sur des sentiments, des convictions, des ressentis et finalement assez peu sur des certitudes raisonnables et scientifiques. Il est d'ailleurs assez vertigineux de réviser une loi qui s'imposera à tous les Français, à l'aide notamment, mais pas seulement, de son vécu personnel.

Avec modestie et humilité, mais aussi avec une grande détermination, chers collègues, nous allons donc légiférer sur la bioéthique car c'est notre devoir, mais aussi et surtout notre responsabilité.

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