Quels humains et quelle humanité voulons-nous être ? C'est face à cette question que nous nous retrouvons en dernière instance lorsque nous essayons d'affronter les enjeux bioéthiques.
Ce sont des enjeux sensibles et complexes. Nombre de femmes et d'hommes les regardent avec une certaine appréhension, à la fois parce qu'ils viennent toucher à une part d'intime, parce que nous sentons qu'ils nous dépassent chacune et chacun en tant qu'individu, parce qu'ils viennent parfois interroger nos choix et notre existence même. Face à eux, on peut avoir envie de détourner le regard, que l'on croie n'être pas personnellement concerné ou l'être de trop près. On peut aussi se protéger en ralliant des positions tranchées laissant peu de place à l'interrogation, dans un sens ou dans l'autre. Tout cela nous traverse.
Je veux dire ici que les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et moi-même sommes interpellés, interrogés par ces enjeux ; nous doutons parfois, nous cherchons toujours. Ils demandent à être instruits avant de se prononcer, car on ne saurait en décider sans précautions ni préventions. Ce ne sont pas des choix a priori. Voilà d'où nous partons.
C'est donc avec humilité et avec courage qu'il faut affronter ces enjeux : l'humilité devant l'oeuvre étonnante que représente la construction de l'humanité ; le courage de ne pas céder à la facilité en fuyant les problèmes posés, fussent-ils embarrassants – et c'est sans doute à cet exercice-là que notre assemblée et notre société ont le plus de mal à faire face.
Alors qu'est-ce que la personne humaine ? C'est cette question que posait le philosophe Lucien Sève, membre éminent du Comité consultatif national d'éthique à sa fondation, dans un petit livre aussi dense qu'important. Qu'est-ce que la personne humaine ? Elle n'est pas réductible à un code génétique, elle n'est pas soluble dans une définition juridique. C'est dans les pratiques sociales civilisées et civilisantes que prend corps la dignité de la personne. À cause de cette sédimentation culturelle et anthropologique, nous ne sommes pas une espèce comparable aux autres.
Et qu'est-ce que vivre ? Qu'est-ce qu'une existence humaine ? La vie de chacune et de chacun n'obéit pas aux modèles numériques, elle ne peut pas se résumer à une équation mathématique. Nos existences sont faites d'une quête d'accomplissement, d'épanouissement, de profonde liberté, de bonheur, en un mot d'émancipation. Mais elles sont aussi faites de risque, d'incertitudes, et de nos limites humaines – bien humaines, certains diront trop humaines. Nos existences se façonnent dans les rapports sociaux, dans leur complexité, leur globalité, leur pesanteur, leur richesse. Dire cela, ce n'est pas se ranger aux arguments de la fatalité et du destin : c'est simplement reconnaître et défendre la dignité de la condition humaine, et pour cela des droits égaux.
Les progrès scientifiques et technologiques nous placent face à des questions nouvelles, et si nous sommes là, c'est parce qu'il y a besoin d'une délibération démocratique. Nous mettons en garde contre toute tentative d'organiser la controverse entre les progressistes et les conservateurs, les uns étant en adoration béate devant les possibilités ouvertes par la science et les autres tétanisés par toute forme de nouveauté. S'il faut se garder de toute fascination pour un devenir humain soumis à la technique, ce n'est pas sur ce plan que se situe la véritable porte d'entrée dans le débat. Dans ce qui est possible, y a-t-il quelque chose qui mette en cause la dignité humaine ? Voilà le sujet. Dès lors que dans la réponse entrent en ligne de compte des visions du monde pour lesquelles cette question n'est pas cardinale, dès lors que s'invite le désir de gagner du pouvoir sur autrui, dès lors que se profile la silhouette du profit, il y a danger. Il y a danger que la décision soit viciée.
La domination patriarcale, qui continue de structurer le monde et d'imposer aux femmes une place dégradée, doit être démasquée. La bioéthique ne saurait être l'instrument de la perpétuation de cette injustice. On sait que les visions racistes et discriminantes visant à mettre en cause l'unité de la grande famille humaine et à organiser l'exploitation d'une partie des humains par l'autre ont cherché à utiliser la science à leurs propres fins.
Parmi les pires ennemis figure l'argent, par lequel tout semble à vendre ou à acheter.