La question du financement par la solidarité nationale de l'accompagnement de la perte d'autonomie est un sujet récurrent depuis de nombreuses années, mais il n'a jamais été traité dans sa complétude. Depuis 1988, puis après la création de la CSG par Michel Rocard, la constitution d'un cinquième risque de sécurité sociale n'a cessé de revenir dans le débat. La canicule de 2003, qui a causé la mort de 20 000 personnes âgées, est à l'origine de la création de la CNSA et de la journée de solidarité qui, loin de créer un risque dépendance, a néanmoins permis d'amorcer le financement de l'aide à l'autonomie et de dessiner un nouveau champ de protection sociale à mi-chemin entre l'aide et l'action sociale des départements et la solidarité nationale.
Aujourd'hui, c'est un autre drame – celui de l'épidémie de covid-19 – qui nous a rappelé l'état de sous-financement dont pâtissent nos structures médico-sociales et nos services d'aide à domicile. Dès lors, nous ne pouvions que nous réjouir de voir enfin arriver devant notre assemblée un texte relatif à l'autonomie. Hélas, grande est notre déception lorsque nous constatons que la porte d'entrée se situe dans un texte budgétaire consacré à la dette sociale. Même si je peux comprendre que ce soit une façon de « cranter » le sujet, comme vous le dites, monsieur le rapporteur, reconnaissez que vous avez mis la charrue avant les boeufs et que le travail est loin d'être abouti, si bien qu'il est difficile de parler d'une nouvelle branche autonomie au sein de notre système de sécurité sociale.
En effet, le projet de loi grand âge et autonomie, qui aurait dû être la pierre angulaire et le texte fondateur, est repoussé une fois encore en 2021. En procédant ainsi, nous nous privons en amont d'une nécessaire réflexion sur la place que notre société reconnaît aux personnes âgées dès lors que survient la dépendance. Nous devons nous interroger sur le regard que nous portons sur elle et proposer un vrai projet sociétal qui les considère comme des citoyens à part entière et partie intégrante de notre pacte républicain.
C'est pourquoi, tout au long de nos débats, j'ai rappelé régulièrement mon désaccord sur la confusion permanente et volontairement entretenue entre dépendance et perte d'autonomie. Or ces deux notions ne sont pas synonymes : la dépendance est l'impossibilité partielle ou totale d'effectuer sans aide les actes de la vie quotidienne, tandis que l'autonomie renvoie aux droits et à la capacité de chaque individu à se déterminer et à agir librement. La perte d'autonomie est la perte d'un droit, la dépendance un état.
Cette distinction est importante, car c'est elle qui nous permettra de donner du sens à notre politique publique en la matière en affichant clairement un objectif : accompagner les personnes en situation de dépendance du fait de l'ajout du handicap pour leur permettre de conserver, voire d'élargir, leur droit à l'autonomie le plus longtemps possible. Il s'agit donc bien de créer un risque dépendance au sein d'une branche consacrée à l'autonomie, et le mot « risque » doit s'entendre comme un risque social, au même titre que la maladie, la maternité, l'invalidité ou la vieillesse, c'est-à-dire un événement qui, quand il survient, affecte la position sociale, financière ou économique d'un individu.
Par ailleurs, une politique publique en faveur d'un soutien à l'autonomie ne peut se réduire au champ des personnes âgées. Je le redis, comme je l'ai répété tout au long des débats : cela doit intégrer les personnes en situation de handicap, quel que soit leur âge. La branche autonomie sera, comme vous le dites à l'envi, une avancée majeure ou un moment historique dès lors que l'effectivité des droits permettra à chacun, quel que soit son âge ou son handicap, d'exercer sa liberté de choisir son lieu de vie, et que ces droits s'inscriront dans les principes d'équité territoriale et d'égalité de traitement, que ce soit en matière de prestations ou d'offres de service.
Nous distinguons cependant une petite lueur d'espoir, madame la ministre déléguée, dans votre titre, puisque vous êtes « chargée de l'autonomie ». Ne nous décevez pas !
Cependant, notre groupe redit son scepticisme à l'endroit de ces deux projets de loi qui n'abordent le sujet qu'en termes de cadre budgétaire. En l'état, vous ne créez pas une nouvelle branche de sécurité sociale : vous vous contentez d'adapter le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale en regroupant deux sous-objectifs de l'ONDAM déjà existants, et, à compter de 2024, vous allouez à la CNSA une fraction de CSG représentant 2,3 milliards d'euros, alors que le besoin de financement est évalué entre 7 et 10 milliards.
D'autre part, le groupe Libertés et territoires a déjà exprimé son point de vue en ce qui concerne le transfert à la CADES de 136 milliards d'euros, dont 13 milliards de dette hospitalière. Il considère que la dette générée par la covid-19 devait être prise en charge par le budget de l'État, comme la dette hospitalière. L'État aurait dû tenir sa promesse en la reprenant lui-même, comme il l'avait annoncé en novembre dernier et comme il l'a fait pour la dette de la SNCF. Ainsi, ce transfert a pour conséquence de prolonger le prélèvement de la contribution de remboursement de la dette sociale et la durée de vie de la CADES jusqu'en 2033.
Compte tenu de son opposition au transfert de la dette hospitalière à la CADES et de ses interrogations sur le périmètre et le financement de cette cinquième branche, le groupe Libertés et territoires n'apportera pas son soutien à ces deux projets de loi.