Intervention de Pierre Dharréville

Séance en hémicycle du jeudi 23 juillet 2020 à 15h00
Dette sociale et autonomie — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville :

Nous voici réunis pour charger la barque de la sécurité sociale d'une dette dont elle n'est pas comptable. Quoi de neuf, en somme ?

Nous étions habitués à ce que s'amoncellent les exonérations de cotisations sociales fragilisant les ressources de la sécurité sociale. Lors du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement avait en outre brisé un tabou, celui de la compensation des exonérations. Nous avançons aujourd'hui d'un pas supplémentaire, à la faveur des événements : d'un trait de plume, la caisse d'amortissement de la dette sociale écope de 136 milliards d'euros de dettes. Vous ne faites pas de détail, additionnant dette existante et dette future, baisses de recettes liées à la réduction d'activité, exonérations et dépenses supplémentaires. L'État se défausse au passage de l'engagement pris avant la crise concernant la dette des hôpitaux.

Vous aurez ensuite beau jeu d'expliquer que la sécurité sociale est endettée et doit donc restreindre ses ambitions, pour la réduire à un filet de protection minimum et ouvrir grand la porte aux marchands d'assurances à but lucratif.

Une discussion incontournable aurait dû avoir lieu sur le financement des dépenses relatives au covid-19 ; vous l'avez balayée pour ne pas vous renier et poursuivre dans la voie inégalitaire que vous avez choisie. Mais pour faire bonne figure, vous prenez soin d'apposer une jolie étiquette sur un pot sans confiture : et voici le législateur devenir publicitaire.

Voilà donc annoncée la création d'une cinquième branche de la sécurité sociale, dont l'idée circulait dans les couloirs de la haute administration depuis le début des années 2000 sans avoir trouvé preneur jusqu'ici. L'un des traits du macronisme est bien de ressortir les projets des tiroirs et d'appeler cela du courage, sans toujours se poser trop de questions. Une autre de ses caractéristiques réside dans le marketing et le recours à la communication : on a été tellement habitués à voir le Gouvernement traiter de vrais problèmes avec de fausses solutions ! En l'occurrence, la promotion de l'autonomie de la personne est un chantier urgent et essentiel. Depuis des années, nous proposons un haut niveau de protection sociale, intégrant les frais liés à la perte d'autonomie et à son maintien. Depuis des années, nous pointons du doigt la faible rémunération des personnels et le défaut de service public adapté aux besoins. Nous n'avons aujourd'hui aucune garantie que cette annonce honorera ces revendications.

Ce que nous savons, c'est qu'elle morcellera l'assurance maladie qui garantit le droit à la santé, sans qu'on soit certain qu'il y ait au bout un bénéfice social. Ce que nous savons, c'est qu'elle sera assise sur un autre mode de financement et conduite selon un autre mode de gouvernance. Ce que nous craignons, c'est qu'elle organise la grande confusion entre les budgets publics et sociaux, mais aussi entre l'intérêt général et les intérêts privés.

Une nouvelle fois, cette grande invention sociale, tellement abîmée par l'érosion que lui a infligée le néolibéralisme triomphant des dernières décennies, est remodelée sans réelle participation des acteurs sociaux. La sécurité sociale a besoin d'une réappropriation sociale et d'une ambition renouvelée, dégagée des appels de l'Union européenne à la réduction de la dépense sociale et de ses injonctions à ouvrir des marchés.

Nous avons besoin d'un grand acte politique pour l'autonomie. C'est un enjeu qui est enfin devenu incontournable aux yeux de toutes et tous ; c'est aussi un vaste terrain d'inégalités sociales. Nous avons besoin d'un haut niveau de prise en charge ; aujourd'hui, il n'est pas en phase avec les besoins.

Nous avons besoin d'un grand service public de l'autonomie, entièrement repensé avec ses personnels, plaçant en son coeur la personne et son émancipation. Il faut faire sortir les marchands du temple, ne pas admettre que l'on se serve de la fragilité et des besoins d'une partie d'entre nous pour grossir des dividendes – ce que l'on appelle la silver economy. Tout cela est insensé : cet argent doit être rendu socialement utile.

Il eût été également opportun d'avancer en regardant d'abord les enjeux ; le Gouvernement a surtout prêté attention à ce qui brille.

Pas plus que nous ne validerons cette décision à 136 milliards, quand vous plaignez à l'hôpital public ce qu'il réclame à juste raison sous les applaudissements, nous n'apposerons notre logo au bas de cette campagne de communication. Nous voulons des actes pensés, partagés, sincères, réels. Ne tirez pas ce soir trop de feux d'artifice, car dans ces enjeux, tout appelle à l'humilité et à l'action. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera contre ce projet de loi recréant le trou de la sécurité sociale et annonçant un dispositif en faveur de l'autonomie dont personne ne sait rien.

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