Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du jeudi 1er octobre 2020 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Nous voici saisis du texte visant à proroger l'état d'urgence sanitaire. Nos interrogations et critiques restent les mêmes, comme j'ai pu le dire en commission. D'une part, certains articles de la loi qui va être prorogée ne sont pas rédigés comme des dérogations mais paraissent modifier, sans véritable limite dans le temps, des dispositions en vigueur, figurant notamment dans le code de la santé publique. D'autre part, si la loi doit aller à l'essentiel en matière de libertés individuelles et publiques, toute limitation doit être interprétée strictement et des garanties doivent être apportées – ce qui n'était et ne sera pas le cas, comme je l'expliquerai par la suite. Je note en outre que la décision de prorogation est prise conformément à l'avis du Conseil scientifique, dont l'indépendance n'est pas garantie et dont l'exclusivité d'intervention pose tout de même problème, ainsi que l'avait rappelé Mme Bachelot, ancienne ministre de la santé.

En l'état, malgré nos questions en commission, nous ne disposons pas du bilan des mesures de police administrative prises par les autorités déconcentrées et par les autorités locales dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Cela renvoie, comme je l'ai fait valoir au cours de la même réunion de la commission, à l'absence de prérogatives et à l'insuffisance de moyens du Parlement pour être informé sans délai des mesures prises par le Gouvernement pendant cet état d'exception, et pour requérir les informations utiles au contrôle et à l'évaluation de ces mesures.

On l'a vu, des mesures ont été prises dont la portée diffère d'une ville à l'autre, d'un territoire à l'autre, sans raison objective. Ainsi, faire du vélo sans masque a été autorisé à Paris mais, dans le même temps, interdit au Mans. Dans ce dernier cas, l'autorité administrative a revu son dispositif alors que le juge administratif était saisi pour statuer sur l'absence de proportionnalité et donc sur la validité de cette mesure. Aujourd'hui, il est possible d'aller dans une salle de sport dans certains départements alors que c'est impossible dans d'autres départements dont le taux d'incidence est pourtant le même.

Dans une récente tribune, une cinquantaine d'éminents juristes estimaient que l'absence objective de proportionnalité des mesures prises au regard des données et du savoir scientifique disponibles risquait à tout moment de conduire à des mesures restrictives des libertés individuelles et collectives sans fondement réel. Ils évoquaient des critères flous et contestables. Autrement dit, le respect des libertés individuelles tient dans bien des cas à ce que nos concitoyens saisissent le juge, ce qui n'est pas bon car le respect des libertés publiques passe d'abord par le respect par l'autorité administrative des principes du droit et par le discernement. Nous ne savons pas comment de telles incohérences, pour ne pas dire de telles aberrations, vont être empêchées.

En matière de dépistage, la stratégie semble devoir évoluer et nombre de nos compatriotes paraissent ne pas bien comprendre ce qui est le plus pertinent de faire. Beaucoup de personnes vont se faire tester sans que l'on ait préalablement défini de publics prioritaires. Par ailleurs, les délais d'accès aux tests dépassent encore aujourd'hui la période de contagiosité et mettent en cause la stratégie même du Gouvernement. Que va-t-il se passer au moment des affections saisonnières et de l'arrivée de la grippe habituelle, si j'ose dire, dont les symptômes sont similaires à ceux de la covid ? Nous découvrons au fil du temps des mesures nouvelles qui parfois contredisent les précédentes.

Le texte proroge jusqu'au 1er avril 2021 le dispositif exceptionnel de collecte de données personnelles et leur traitement dans le cadre de la lutte contre l'épidémie.

Quant à l'application StopCovid, elle est, en l'état, un échec que nous étions malheureusement assez nombreux à pressentir. Si le comité de contrôle et de liaison covid-19 se prononce en faveur de la relance de la promotion de l'application StopCovid, en complément d'autres dispositifs de tracing, il ne dit rien de ce qui est fait dans d'autres États européens comparables, rien des difficultés rencontrées avec des applications ayant le même objet et rien des éventuelles solutions à partager. Le fait que les plus hautes autorités de l'État ne l'aient pas téléchargée laisse à penser que la communication a été insuffisante, à moins qu'on ne soit allé jusqu'à douter de son efficacité…

Ainsi, le projet de loi, en reprenant le dispositif applicable sans évaluer les stratégies opérationnelles à mettre en oeuvre, pose plus de questions qu'il n'apporte de certitudes sur ses effets positifs. C'est pourquoi le groupe Socialistes et apparentés entend proposer de limiter la prolongation du régime transitoire à sa stricte nécessité. Il entend aussi proposer des mesures pour améliorer le contrôle du Parlement sur ce dispositif aléatoire. Je note à cet égard que la Défenseure des droits, autorité administrative indépendante prévue par la Constitution, s'est, dans un courrier d'il y a une semaine, prononcée en faveur du renforcement du contrôle parlementaire des mesures sanitaires. Autrement dit, rien d'anormal face à un dispositif dit anormal, fussions-nous dans une période exceptionnelle. Il s'agit en effet de prendre les bonnes décisions, c'est-à-dire avec mesure.

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