Intervention de Yannick Kerlogot

Séance en hémicycle du mardi 6 octobre 2020 à 21h30
Restitution de biens culturels à la république du bénin et à la république du sénégal — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYannick Kerlogot, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Rappelons par ailleurs que la procédure de restitution suppose que l'État demandeur ait fait une demande à l'État français dans le cadre d'une démarche diplomatique. Le CRAN – Conseil représentatif des associations noires de France – a estimé lui-même lors des auditions, par la voix de son président, M. Vedeux, que les demandes de restitution devaient faire l'objet d'un travail préalable d'historiographie sérieux de la part des pays demandeurs.

Disons-le, ils sont aujourd'hui peu nombreux – je pense à l'Éthiopie, au Tchad, au Mali, à la Côte d'Ivoire et à Madagascar – et la réponse au cas par cas reste incontestablement la meilleure.

Pour autant, nous devons vraisemblablement nous attendre dans les prochaines années à un nombre croissant de demandes, et cette première main tendue en direction du Bénin et du Sénégal nous oblige, chers collègues, dans sa réussite. Elle oblige également les pays demandeurs dans la réussite de l'accueil, notamment au nom d'une jeunesse désireuse de nouer des liens avec un patrimoine bientôt accessible.

Au cours de nos auditions, la question a été posée du pourquoi d'une loi de circonstance et non d'une loi-cadre. Il est légitime de se poser la question, sachant qu'il pourrait y avoir d'autres demandes à l'avenir. Le législateur, à l'initiative du Sénat, avait tenté de créer une procédure qui aurait permis de déclasser, après avis d'une commission scientifique, sans passer par la loi. Cependant, cette commission s'est d'emblée déclarée incompétente pour déclasser des biens qui auraient toujours leur intérêt artistique, historique ou scientifique. Sans doute la loi n'était-elle pas assez explicite.

Cette commission scientifique nationale des collections, créée en 2002 par la loi relative aux musées de France, a vu sa composition consolidée en 2010, mais elle s'est en définitive peu réunie, le quorum étant difficile à atteindre, et le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique envisage sa suppression.

Cependant, si la réflexion sur la mise en place d'une procédure régie par une loi-cadre ne doit sans doute pas être écartée, elle suppose la définition de critères précis, et c'est toute la difficulté de l'exercice. Les prochaines restitutions, au cas par cas, doivent permettre de nous éclairer sur la définition de ces critères : ni trop stricts pour ne pas nous priver de certaines restitutions symboliques, ni trop larges pour ne pas compromettre la portée diplomatique et culturelle de ces restitutions.

Dans tous les cas, les restitutions doivent nous permettre de renforcer notre diplomatie culturelle à l'endroit des pays africains, en les aidant à mettre en valeur leur patrimoine grâce à l'expertise française en matière de musées, reconnue dans le monde entier.

Les modalités de coopération avec le Bénin au sujet du trésor de Béhanzin sont, à cet égard, exemplaires. Le président et le vice-président du comité de coopération muséale et patrimoniale entre la France et le Bénin, que nous avons reçus en audition, nous ont démontré leur volonté de se reposer sur les compétences muséales et patrimoniales françaises dans le cadre de l'ambitieux projet d'investissement « Bénin révélé », dans lequel figure la construction du musée de l'épopée des Amazones et des Rois du Dahomey sur le site actuel des palais royaux, musée destiné à accueillir les vingt-six pièces de la restitution qui nous occupe.

Il nous faut cheminer ensemble sur la ligne de crête qui relie les demandes légitimes des États africains et la dimension universaliste des musées occidentaux. C'est dans cette perspective que je citerai l'historien Pascal Ory, reprise par Emmanuel Pierrat dans son ouvrage, Faut-il rendre des oeuvres d'art à l'Afrique ? : « Sans doute la solution la moins radicale – donc la moins absurde – passe-t-elle [… ] par le principe de compromis. Par exemple, certaines restitutions symboliques seraient de bonne politique humaniste, mais sans aucun système : l'obscurité ou l'ambiguïté des conditions d'acquisition suffiraient à circonscrire les cas. Un second principe pourrait s'apparenter à une sorte de coresponsabilité mémorielle. Ce qu'il faut encourager, dans une perspective universaliste, c'est la circulation des oeuvres, contre l'enfermement de chaque culture dans sa spécificité – évidemment largement imaginaire : ça s'appelle du nationalisme culturel (Léonard de Vinci est-il propriété de l'Italie ? ), voire du racisme. La partie sera gagnée le jour où, pour voir certains chefs d'oeuvre de l'Antiquité romaine ou du Moyen Âge gothique, il faudra aller dans un musée d'Afrique subsaharienne. »

Vous l'aurez compris, chers collègues, je formule le voeu que nous nous retrouvions dans un vote le plus large possible, à l'instar de la commission des affaires étrangères et de la commission de l'éducation et de la culture, qui ont adopté ce texte à l'unanimité.

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