Intervention de Frédérique Dumas

Séance en hémicycle du mardi 6 octobre 2020 à 21h30
Restitution de biens culturels à la république du bénin et à la république du sénégal — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

… de reconnaissance, de restauration et de réparation, mais surtout, c'est ouvrir la voie vers l'établissement de nouveaux rapports culturels reposant sur une éthique relationnelle repensée. » C'est ainsi que Felwine Sarr et Bénédicte Savoy abordent la question de la restitution du patrimoine culturel africain dans leur rapport sur le sujet, remis au Président de la République en novembre 2018.

Deux ans plus tard, nous voici réunis pour franchir une nouvelle étape dans nos relations avec les pays d'Afrique. Ce projet de loi va nous permettre de restituer des biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal. Plus précisément, il s'agit d'une part de faire sortir des collections nationales vingt-six oeuvres données à l'État français par le général Dodds et conservés au musée du Quai Branly-Jacques Chirac, qui constituent ce qu'il est coutume d'appeler le trésor de Béhanzin ; d'autre part, il est question de restituer le sabre et son fourreau attribués à El Hadj Omar Tall et donnés par le général Louis Archinard aux collections nationales.

Remis symboliquement par Édouard Philippe, alors Premier ministre, au Président Macky Sall, exposé au musée des civilisations noires de Dakar, nul ne peut nier la valeur hautement symbolique de ce sabre, aussi bien nationalement que religieusement, du fait de la qualité de musulman et de chef militaire de El Hadj Omar Tall. Cette symbolique a fait couler beaucoup d'encre : certaines et certains se sont élevés contre sa restitution, souvent celles et ceux qui ont dénoncé sa symbolique de l'époque, celle du djihad, souvent les mêmes, qui, en France, contestent le moindre débat autour des statues et de leur pouvoir de représentation. C'est bien la preuve que les représentations d'un jour sont toujours questionnées et questionnables, ce qui n'est pas anormal.

Ce projet de loi marque une étape importante, aussi bien dans nos relations avec ces pays que dans le travail de réconciliation sur le territoire français et que dans notre conception des biens culturels. En effet, comme mes collègues l'ont rappelé, il s'agit d'autoriser une dérogation à notre législation, qui garantit aux biens culturels des collections publiques des musées de France une triple protection – inaliénabilité, imprescriptibilité et insaisissabilité – , qui interdit leur exportation définitive du territoire.

Pourtant, sans nier le caractère inaliénable et universel des oeuvres qui figurent au sein des collections nationales, aborder la question des restitutions est une préoccupation légitime. Elle n'est pas nouvelle, mais malgré les tentatives d'ouverture depuis plusieurs décennies, les demandes ont toutes abouti à des réponses négatives.

Aujourd'hui, il faut le souligner, l'occasion nous est enfin donnée de réinterroger le contexte d'acquisition de certaines oeuvres qui font la richesse de nos collections et de nos musées. Les travaux d'enquête et d'expertise de ces derniers nous permettent de déterminer que certains biens ont effectivement été pillés et volés, à l'occasion d'un épisode guerrier de la colonisation, et ont donc été mal acquis au regard de nos conceptions actuelles.

La grande majorité du patrimoine africain se trouve hors du continent africain : dès lors, rendre le droit au patrimoine à la jeunesse africaine n'est ni renier le passé ni se déposséder, mais regarder le passé en face. Accéder aux demandes de restitution n'est pas une remise en cause du passé, mais une contribution à la construction d'un avenir plus apaisé, y compris en France.

En ce qui concerne les conditions de conservation et d'exposition, le projet de loi a fait naître des inquiétudes. Pour y répondre, je rappelle que la République du Bénin et celle du Sénégal disposent de moyens de conservation ou préparent l'arrivée de ces biens culturels, afin de veiller à ce que ces oeuvres fragiles soient conservées dans les meilleures conditions possibles. De plus, comme l'a indiqué la rapporteure pour avis en commission des affaires étrangères, les demandes de restitution sont rigoureusement traitées grâce à une expertise scientifique et historique minutieuse.

En revanche, comme le suggère le rapport de Felwine Sarr et de Bénédicte Savoy, nous devons nous poser la question d'une évolution du droit pour anticiper les futures restitutions. Nous avons pu aborder l'éventualité d'une loi-cadre lors de nos travaux en commission. Pour l'instant, les demandes ne sont pas très nombreuses, mais il nous apparaît pertinent de réfléchir à la création d'une procédure de restitution, conditionnée par la définition d'une charte et par la conclusion d'accords bilatéraux de coopération, qui peuvent s'avérer plus souples. Ainsi, au-delà de la dérogation au principe d'inaliénabilité, les deux universitaires recommandent d'autres mesures, comme la création d'une commission paritaire d'experts des deux pays signataires, chargée d'examiner les demandes de restitution ou les modalités de coopération culturelle et scientifique sur le long terme.

Chers collègues, nous sommes dans un contexte déterminant pour nos relations futures avec le continent africain. L'ouverture récente sur le principe de restitution nous permet de repenser nos échanges culturels avec les autres pays. Restituer, c'est redonner un souffle éthique et de justice à nos coopérations culturelles, c'est comprendre les sensibilités et l'importance symbolique des biens culturels. Aussi, la restitution ne remet pas en cause l'universalité des oeuvres : elle donne au contraire un nouvel élan à la circulation de celles-ci et reconnaît l'importance du dialogue des cultures.

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