Loin de rester passive, l'Union européenne s'est fixé deux priorités dès le début de la crise sanitaire : gérer l'urgence ; préparer la relance. Les États membres ont d'ailleurs tous adopté à peu près les mêmes principes d'action.
Gérer l'urgence, d'abord, car l'Europe n'est pas restée les bras croisés pendant la crise. Dès le mois de mars, le Conseil européen sur proposition de la Commission, a activé la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance, déclenchant la suspension de l'encadrement budgétaire et macroéconomique européen. C'était une décision inédite, la clause n'ayant jamais été mise en oeuvre auparavant.
Dans le même mouvement, les règles européennes sur les aides d'État ont été assouplies, ce qui a permis aux États membres de soutenir leurs entreprises. L'Union a donc très vite adopté son propre « quoi qu'il en coûte », et les États membres ont alors pu mettre en oeuvre leurs réponses sanitaires, économiques et sociales face à la crise.
L'activation de la clause dérogatoire générale ne signifie pas qu'il n'y a plus de supervision et que l'Europe a disparu. La Commission et le Conseil européen continuent de donner leur avis sur les budgets nationaux, mais à partir de nouvelles priorités. En clair, sont promus la lutte contre l'épidémie, le soutien aux entreprises et aux ménages ainsi que l'accompagnement des plus fragiles, plutôt que le seul retour à l'équilibre structurel.
Au demeurant, avant la crise, les règles du pacte de stabilité et de croissance sont déjà apparues imparfaites. Elles ont favorisé les politiques procycliques et n'ont été accompagnées que partiellement d'une véritable maîtrise de l'endettement. La question de la qualité de la dépense publique au regard de la croissance est demeurée sans réelle traduction normative, et les règles sont devenues très complexes, peu lisibles et peu prévisibles. Reconnaissons néanmoins que le pacte a fait preuve de souplesse dans le contexte d'une crise sans précédent.
Pour l'avenir, la question se pose des conditions de la sortie de la clause dérogatoire générale au-delà de 2021. La solidité de la zone euro ne peut être préservée sans encadrement des finances publiques et des politiques macroéconomiques nationales. Nous avons vu ce qui s'est passé lors de la crise précédente, celle des dettes souveraines de 2010 : les déséquilibres excessifs font courir le risque d'une dislocation. Le secrétaire d'État chargé des affaires européennes l'a lui-même reconnu : « On ne peut pas imaginer remettre en place le même pacte de stabilité et de croissance ». Je partage totalement cette position. Les nouvelles règles européennes devront prendre en compte l'impact de la crise sur les déficits et les niveaux d'endettement. Il faudra qu'elles encouragent l'investissement pour faire repartir les économies nationales ; je plaide en particulier pour que ces règles nouvelles encouragent l'investissement productif et prennent en compte les impératifs liés à la transition écologique.
Revenons au traitement européen de la crise. La réponse ne s'est pas cantonnée à l'assouplissement de règles juridiques : l'Union a mobilisé 540 milliards d'euros pour offrir des facilités de prêt aux États membres, ainsi que pour soutenir la mise en place de l'activité partielle dans ces pays et mobiliser l'investissement privé en lien avec la Banque européenne d'investissement. La Banque centrale européenne a également joué un rôle déterminant pour apaiser les tensions sur les marchés financiers, avec son programme d'acquisition d'actifs d'urgence face à la pandémie, d'un montant de 1 350 milliards d'euros. Cette action a permis de préserver la stabilité des marchés et d'empêcher les taux d'intérêt de la dette de certains États membres – dont la France, il faut le dire – de s'envoler. La Banque centrale a annoncé que ce programme serait prolongé aussi longtemps qu'il le faudrait, en tout état de cause au moins jusqu'en 2021.
Mais, bien sûr, la réponse la plus ambitieuse est celle de l'accord trouvé en Conseil européen fin juillet, qui porte sur le prochain cadre financier pluriannuel et surtout sur un instrument européen de financement des plans de relance nationaux par l'émission – c'est bien là l'innovation – d'une dette commune. En effet, la relance est nécessaire afin de soutenir le rebond de l'économie continentale. À ce titre sont prévus 750 milliards d'euros de financements, ce qui est sans précédent dans l'histoire européenne. Sur ce montant, 312,5 milliards seront versés directement aux États membres sous forme de subventions, le reste sous forme de prêts. Ces crédits seront débloqués pour financer des plans d'investissement nationaux qui feront l'objet d'un examen par la Commission européenne et d'un vote au Conseil. Dans ce cadre, la France bénéficierait au total de 40 milliards d'euros pour son propre plan de relance. L'Europe s'endette donc, mais elle s'endette pour financer son avenir.
Ce plan est important pour la France, car la vivacité de nos partenaires européens, qui sont aussi nos principaux partenaires commerciaux, est cruciale pour contribuer à la robustesse de notre économie. Nous pouvons collectivement nous féliciter de l'accord trouvé en juillet. Sa mise en oeuvre supposera l'unanimité des États membres puis la ratification par des parlements nationaux, dont le nôtre, voire par certains parlements régionaux. Plusieurs pays ont déjà fait comprendre qu'ils pourraient s'opposer au déclenchement du processus de ratification, afin d'éviter la mise en oeuvre d'un mécanisme de protection des intérêts financiers de l'Union contre la corruption et le détournement de fonds. C'est un point sur lequel nous ne devons pas céder : il faut nous assurer que l'argent de la solidarité européenne aille bien à la relance de l'économie de notre continent. Monsieur le secrétaire d'État, comme vous l'avez dit, l'Assemblée nationale se doit d'être mobilisée sur le sujet ; il faudra, pour cela, dûment l'informer.
Je souhaite également que la question du remboursement de l'emprunt européen soit posée et clarifiée dès aujourd'hui.