Nous le savons tous, l'examen de la contribution de la France au budget de l'Europe est un rendez-vous un peu convenu.
Nous débattons pendant une heure ou deux, puis le vote intervient ; sans suspense, il est toujours positif. Puis le projet de loi de finances poursuit sa course folle.
Pour 2021, tous les orateurs ont prononcé ce chiffre : la contribution est évaluée à 26,8 milliards d'euros, contre 21,5 en 2020, soit une augmentation de 25 %.
Nous pouvons dépasser cette vision comptable, et nous dire que discuter de la part que donne la France à l'Union européenne peut aussi servir à interroger notre projet pour l'Europe et pour son l'avenir, car celui de l'Europe se joue largement dans la période actuelle, marquée par un grand nombre d'incertitudes.
Il y a tout d'abord les incertitudes liées aux difficultés concernant l'accord de coopération entre la France et le Royaume-Uni, conséquence du Brexit.
Il y a aussi les tensions géopolitiques à nos portes : en Biélorussie, en Méditerranée orientale, ou encore dans le Haut-Karabagh. Monsieur le secrétaire d'État, sur ces théâtres, contrairement aux dires de certains, l'Europe peine à parler le langage de la puissance.
L'Europe butte sur un autre écueil : sa gouvernance, au moment où la crise sanitaire et ses conséquences économiques et sociales suscitent des inquiétudes. Dans cette crise-là aussi, l'Europe donne à voir le meilleur et le pire de son fonctionnement.
Cette année constitue le début d'une nouvelle ère pour l'Union, qui doit se réinventer afin de tirer les conséquences de deux crises majeures, celle du Brexit et celle du covid-19.
Le meilleur, c'est la réponse du Conseil européen de juillet 2020, qui a semblé constituer un tournant politique et budgétaire pour l'Union européenne. Il en propose trois piliers imbriqués : le plan de relance ; le cadre financier pluriannuel 2021-2027 ; la lancinante question des ressources propres.
Le plan de relance part d'un constat simple : si toute l'Union européenne a été touchée par la pandémie, les impacts sanitaires, économiques et sociaux varient fortement, d'un État membre à l'autre. La pandémie a plus durement frappé certaines régions du continent et certaines économies, du fait de leurs structures.
C'est ainsi que les îles, dans leur grande majorité, ont été très affectées car leur dynamisme économique dépend de la fréquentation touristique et des flux de transport, qui ont subi un coup d'arrêt brutal. Il est nécessaire, comme nous l'appelons de nos voeux depuis longtemps, que les traités et textes européens intègrent, enfin, une clause d'insularité. La France peut et doit défendre cette idée.
Un plan de relance européen était donc nécessaire afin de démontrer, de manière concrète, la solidarité de l'Union. Démonstration est faite et l'effort de solidarité est important puisqu'il s'établit à 75 milliards d'euros.
Les négociations ont été le théâtre de vifs échanges sur l'égoïsme supposé de certains membres, alors que les choses sont plus complexes. Si les pays du Nord ne veulent pas être avoir à rembourser les dettes des autres à n'importe quelles conditions, cela ne les empêche pas de se montrer solidaires d'autres manières, puisque leur solde net de contribution par habitant est des plus élevés.
Alors que le Brexit et la crise ont accru les risques de fragmentation de l'Union, la décision d'un emprunt en commun, outre qu'elle apporte un soulagement à court terme pour les finances publiques nationales, réaffirme l'existence d'un projet partagé et d'une volonté des États de s'engager solidairement dans la durée.
Ainsi, nous nous réjouissons des modalités d'allocation maximale de subvention par État membre, déterminée en se fondant sur la population, le PIB et le taux de chômage constaté entre 2015 et 2019. En l'état, les principaux bénéficiaires de l'enveloppe seraient l'Italie, l'Espagne, la France et la Pologne. Dès lors, sur les 390 milliards d'euros de transferts prévus, près de 40 milliards d'euros sont destinés à la France, cette somme alimentant largement le plan de relance national.
Nous en sommes d'autant plus satisfaits que le plan vise à relancer l'économie européenne tout en accélérant les transitions verte et numérique, et en renforçant la résilience et la durabilité. Ces conditions seront d'ailleurs contrôlées par le Conseil européen. Nous voyons là que des contreparties sont demandées aux États à l'échelle européenne. Pourquoi ne pas en demander aux entreprises en France ?
Nous regrettons cependant, tout comme le Parlement européen, certaines ambiguïtés sur la conditionnalité relative au respect de l'État de droit, au profit des gouvernements hongrois et polonais – ceux-ci ont d'ailleurs bloqué la ratification du plan de relance quand les députés européens ont manifesté l'ambition d'aller plus loin. L'Europe, compte tenu de son histoire et de ses valeurs, ne doit faire aucun compromis sur cette valeur fondatrice de l'Union.
Le Brexit et la négociation du cadre financier pluriannuel 2021-2027 constituaient une occasion historique d'en finir avec la politique des rabais, chère à Mme Thatcher. Quels sont les pays bénéficiaires ? Les Pays-Bas pour 1,9 milliard d'euros, l'Autriche, le Danemark, la Suède, mais également l'Allemagne pour 3,6 milliards d'euros.
J'évoquais le meilleur de l'Europe, nous avons également un nouvel épisode du pire : ces États ont saisi l'opportunité des négociations sur le plan de relance pour conserver leur rabais, dans le cadre pluriannuel financier 2021-2027, malgré l'offensive menée par la France. Au total, ce sont 10 milliards d'euros de plus sur sept ans qui se sont envolés des caisses communautaires.
Tout cela aura une conséquence concrète : l'augmentation du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne. En 2021, cela se traduira par une augmentation de 700 millions d'euros.
Comment nous positionner par rapport à cet article 31 lorsque l'on sait que ces rabais sont à la charge de tous les autres pays, en particulier des contribuables français ? Voter pour cet article ne revient-il pas, en partie, à accepter la perpétuation de ces pratiques ?
N'oublions pas, non plus, que l'accord sur le plan de relance s'est fait en rabotant le budget européen de la recherche, du programme Erasmus ou de l'innovation. Quant au programme de santé EU4Health, représentant 9 milliards d'euros, il a disparu alors que nous déplorons l'absence de moyens de l'Union européenne face à la pandémie.
Si le président du Parlement européen se dit très satisfait de l'accord obtenu sur un plan de relance destiné à faire face à la crise engendrée par le covid-19, il estime qu'il faut réviser certaines coupes prévues dans le prochain budget pluriannuel. C'est une dure pierre d'achoppement entre le Parlement et le Conseil européen, nous en avons encore eu la démonstration la semaine dernière, lors de la réunion du Conseil européen.
Le groupe Libertés et territoires souhaite donc que le Parlement européen soit pleinement impliqué dans l'établissement et la mise en oeuvre de l'instrument de relance et du cadre pluriannuel.
Nous nous consolerons en notant que le montant de la PAC attribué à la France a été préservé : 62,4 milliards d'euros, ce qui correspond à une quasi-stabilité en euros courants. Le montant des aides du second pilier – développement rural, transition écologique et installation des jeunes agriculteurs – monte de 10 à 11,4 milliards d'euros, dont 900 millions d'euros octroyés dans le cadre du plan de relance européen.
Reste qu'il faut entreprendre une réforme de la PAC afin de mieux prendre en compte les spécificités de certains territoires mais aussi pour orienter la production vers les circuits courts.
Autre question prépondérante : celle des ressources nouvelles qui doivent aider au remboursement de l'emprunt européen. C'est ainsi qu'une nouvelle ressource propre, calculée sur les déchets plastiques non recyclés, sera établie et appliquée à partir du 1er janvier 2021. Pour la France, cette contribution plastique est estimée à 70 millions d'euros. Nous approuvons cette mesure cohérente avec les objectifs de l'accord de Paris.
Même si cette contribution ne sera pas vraiment une ressource propre mais un nouveau transfert du budget national vers le budget européen, il n'en reste pas moins qu'une étape décisive a été franchie : pour la première fois, le Conseil est convenu de la nécessité de créer de nouvelles ressources et a donné mandat à la Commission pour faire des propositions en ce sens.
Après les échecs des tentatives de taxation des profits des grandes multinationales du numérique là où ils sont réalisés, à quand la taxe carbone aux frontières ? Nous attendons les propositions de la Commission. Le chemin vers l'Europe puissance est décidément bien long.
Dans l'attente, nous nous apprêtons à voter un nouveau prélèvement sur recettes. Même si nous souhaitons apporter notre soutien au Parlement européen dans son bras de fer avec le Conseil, nous pourrions être tentés de ne pas voter l'article.