Intervention de Corinne Vignon

Séance en hémicycle du jeudi 16 novembre 2017 à 15h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 - projet de loi de finances pour 2018 — Gestion des finances publiques et des ressources humaines

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCorinne Vignon, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, c'est la première fois que, dans le cadre de l'examen d'un projet de loi de finances, la commission des affaires sociales se saisit pour avis des crédits de la mission « Régimes sociaux et de retraite », ainsi que du compte d'affectation spéciale « Pensions ». Si notre commission a choisi d'innover, c'est parce qu'il lui a paru important de se pencher sur les régimes dits « spéciaux », dans la perspective de la réforme systémique de nos régimes de retraites qui a été annoncée dans le programme du Président de la République.

Il ressort du travail que j'ai conduit que l'appel à la solidarité peut se justifier pour les régimes marqués par un fort déséquilibre démographique, qui peinent à s'autofinancer. Or, il n'en demeure pas moins que l'on peut difficilement se satisfaire de la persistance de certains avantages anciens dont le financement repose, in fine, majoritairement sur la collectivité nationale.

Malgré les réformes paramétriques successives, les régimes de retraite de la SNCF et de la RATP sont aujourd'hui subventionnés aux trois cinquièmes par l'État, et celui des marins l'est même à près de 80 %. Dans le même temps, je note que, dans le régime de la RATP, un certain nombre de règles de liquidation des pensions permettent, en particulier au personnel roulant, de partir en retraite dès 45 ans, voire sans aucune condition d'âge. Dans ce même régime, la durée moyenne de service de la pension – environ 40 années – est supérieure à la durée moyenne d'activité – à peine 35 années – , ce qui prouve que la pénibilité du travail ne cause pas une surmortalité précoce.

Dans le régime de retraite des marins, qui remonte à 1647, les cotisations sont déterminées à partir de vingt catégories prenant en compte des critères comme l'âge, la qualification, les responsabilités des marins, mais aussi le tonnage, la puissance ou la taille des bateaux. Pour ajouter à la complexité, chacune de ces vingt catégories est sous-divisée en fonctions, dont le nombre total s'élève à 210. Plusieurs des personnes auditionnées ont convenu que l'on avait atteint les limites d'un système. Le temps me semble donc venu de mettre en oeuvre la proposition d'Emmanuel Macron de créer « un régime universel de retraites par répartition, où un euro cotisé donne les mêmes droits, [… ] quel que soit le statut de celui qui a cotisé ».

Pour autant, une telle réforme ne saurait, selon moi, se traduire par un alignement pur et simple de l'ensemble des régimes sur le régime général, ou par un décalque du modèle suédois des comptes notionnels. Les particularités de certains régimes demeurent à mes yeux pleinement justifiées. C'est le cas du régime des pensions de retraite des militaires, dont les singularités sont la traduction d'une politique publique visant à garantir la jeunesse et l'aptitude physique de nos armées, le « pyramidage » des effectifs, la compensation d'une disponibilité en tout temps, en tout lieu et en toutes circonstances, ainsi que des sujétions difficiles pouvant aller jusqu'au sacrifice suprême.

Cela mérite d'être médité, à l'heure où la gendarmerie va être amenée à renouveler massivement ses effectifs. En effet, sur les 100 000 gendarmes actuellement en poste, 54 000 partiront en retraite dans les cinq ans à venir. Les militaires retraités sont loin d'être des nantis : la moitié des militaires du rang perçoivent une pension inférieure à 774 euros par mois ; en 2016, près de 10 000 militaires ont cessé leurs fonctions sans droit à pension. Les militaires et les gendarmes partent souvent en retraite dans un état physique et psychique dégradé.

Des simulations effectuées par le ministère des armées ont permis de mesurer l'ampleur des pertes qu'impliquerait le passage au système des comptes notionnels, qui se traduirait par une baisse de 72 % du montant de pension des militaires du rang. Il me semble donc impératif, dans la perspective d'une réforme systémique, de ne pas réduire la question de l'équité à celle de l'uniformité des règles. Aussi souhaiterais-je savoir si, dans le cadre des travaux de préfiguration de cette réforme, il sera tenu compte des sujétions inhérentes à la condition militaire, car on les oublie trop souvent.

J'achèverai mon propos en citant un portrait des gendarmes par le général Ambert, il y a plus d'un siècle :

« J'ai vu le gendarme [… ] concilier les différends comme le juge de paix ;

« Je l'ai vu combattre comme le guerrier ; [… ]

« Vous dormiez et il veillait ; vous vous réjouissiez dans les fêtes, et lui, debout à l'angle obscur, protégeait votre joie.

« Il a l'oeil sur votre maison, sur votre champ, sur votre or, sur votre repos, [… ]

« Il n'est rien pour vous, et vous êtes tout pour lui. »

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