Mon rapport pour avis porte sur le budget des grands organismes de recherche.
Ancrons cette intervention dans l'actualité : le 7 octobre, le prix Nobel de chimie était attribué à deux femmes, dont une Française, Mme Emmanuelle Charpentier, et une Américaine, Mme Jennifer Doudna, pour la mise au point d'une technique révolutionnaire d'édition génomique, célèbre depuis des années déjà. Au-delà de ce brillant succès pour la recherche française, il convient de regarder en face deux réalités moins plaisantes.
Premièrement, la recherche française manque encore singulièrement de femmes, comme j'ai pu le constater pendant la préparation du rapport sur ce texte : sur les treize organismes, entreprises et administrations auditionnées, douze chefs de délégation étaient des hommes.
La seconde réalité déplaisante est illustrée par le caractère très international du parcours de Mme Charpentier. Passée par les États-Unis, la Suède et l'Allemagne, elle n'est pas revenue en France depuis son doctorat, en 1995. Bien sûr, la dimension internationale est excellente, et même indispensable, dans les métiers de la recherche, mais seulement quand le départ est choisi. Quand il est lié, comme dans ce cas, à l'incapacité de notre pays à fournir des conditions de recherche adéquates pour ses chercheurs les plus en vue, cela s'appelle la fuite des cerveaux, et cela nous renvoie au sous-investissement chronique dans la recherche, au regard de nos ambitions, qui dure depuis bien des années, comme vient de l'indiquer à l'instant Pierre Henriet.
Force est de reconnaître que le projet de loi de programmation de la recherche a eu le grand mérite de mettre au jour ces difficultés et de les affronter avec une ambition nouvelle, qu'il convient de saluer – à cet égard, je rejoins le constat de Francis Chouat.
Rappelons-le, alors que plusieurs de nos partenaires européens affichent un niveau de dépenses intérieures de recherche et de développement supérieur à 3 % de leur produit intérieur brut, dans le cas de la France, ce ratio stagne depuis 2014 aux alentours de 2,2 %.
Dans ce contexte, le projet de loi de finances pour 2021, dans le périmètre qu'il m'a été donné d'examiner, me semble assez paradoxal. D'un côté, il affiche une grande ambition d'ensemble ; de l'autre, il témoigne d'un manque de cohérence.
Considérons, dans la mission « Recherche et enseignement supérieur », les dotations du programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires », consacré au financement des principaux organismes de recherche, en particulier le CNRS, l'ANR, l'INRAE – Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement – , le CEA – Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives – et l'INSERM. Globalement, on constate une progression de 355 millions d'euros en AE – autorisations d'engagement – et de 222 millions en CP – crédits de paiement – par rapport à 2020, ce qui s'explique pour une large part par le relèvement considérable des moyens alloués à l'Agence nationale de la recherche. C'est parfaitement cohérent avec les orientations du projet de loi de programmation de la recherche, et tant mieux.
Toutefois, pour les autres opérateurs financés par le programme 172, la situation est très variable. Si le CNRS voit sa dotation s'accroître dans des proportions tout à fait satisfaisantes, d'autres doivent composer avec des moyens contraints. C'est le cas notamment de l'INSERM, qui, à cause de la vague de covid-19, doit fournir des investissements supplémentaires, de l'INRIA – l'Institut national de recherche en informatique et en automatique – , au moment où il s'engage dans un grand plan d'interface avec la sphère privée, en particulier pour la création de start-up, mais aussi de l'INRAE, qui procède de la remarquable fusion qui vient d'être conduite entre l'INRA – l'Institut national de recherche agronomique – et l'IRSTEA – l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture.
On le sait, les autorités de tutelle ont tendance à attendre la conclusion de contrats d'objectifs et de moyens pour réévaluer les dotations ; j'imagine que ce sera le cas en l'occurrence. Cette démarche peut toutefois mettre en difficulté les organismes confrontés à de lourdes charges de gestion, dont le paiement ne peut attendre. Et puis, cela traduit un manque d'ambition pour ces organismes, qui est selon moi contraire à l'état d'esprit qui a présidé aux travaux d'élaboration du projet de loi de programmation de la recherche, auxquels, vous le savez, j'ai pris une part active.
Au-delà des aspects strictement budgétaires, trois secteurs de recherche éminemment stratégiques pour le rayonnement de la France ont fait l'objet d'une attention particulière dans mon rapport : l'agro-écologie, l'espace et l'énergie. Concernant l'espace, je rejoins les conclusions de Pierre Henriet. Je me concentrerai sur l'énergie.
L'annonce par le Gouvernement, en septembre, d'une stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné est bienvenue. Notre pays doit mobiliser les ressources qui lui permettront de s'extraire de sa dépendance aux énergies fossiles. Il faut saluer le changement d'ambition que représente ce plan hydrogène : 2 milliards en 2021 et 2022, sans commune mesure avec le premier plan, présenté en 2018.
Il est, dans ces conditions, extrêmement paradoxal que le projet de loi de finances pénalise l'un des organismes publics de recherche les plus en pointe dans le domaine de l'hydrogène, l'IFPEN, l'IFP Énergies nouvelles. La stabilité de la dotation proposée pour cet établissement est injuste, d'une part, car ses activités se développeront dans le cadre du plan hydrogène et, d'autre part, car il a réorienté depuis plusieurs années ses activités en direction de la transition écologique et de la mobilité durable. Elle est aussi préoccupante, car la stabilité de la dotation ne masque pas la diminution des ressources propres de l'IFPEN due à la crise du covid-19. En clair, nous demanderons à l'IFPEN des efforts supplémentaires avec moins de moyens ; ce seront des emplois en moins.
Si l'on prend en compte tous ces points, je considère que les points faibles dominent sur les points forts. J'émettrai donc un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».