Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du mercredi 28 octobre 2020 à 15h00
Accélération et simplification de l'action publique — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Nous en sommes au point où les machines dont nous disposons ne sont pas à même de traiter des arbres d'un diamètre supérieur à celui des résineux que nous implantons un peu partout : 20 à 30 centimètres, et à condition que le tronc soit absolument rectiligne, afin d'entrer dans la machine. Les feuillus un peu tordus, un peu bizarres, n'y parviennent pas ; lorsque le bois le plus noble se trouve disponible, son diamètre est bien trop important pour ces machines.

On a commencé par liquider le personnel d'État, et surtout son irremplaçable savoir-faire : en l'espace de trente ans, 40 % des emplois de l'ONF ont été supprimés. Le projet de loi autorise le remplacement des fonctionnaires par des contractuels dans toutes les missions. Ce sont ces dispositions que nous voulons voir supprimer, car seul le statut de fonctionnaire protège l'agent qui travaille dans les bois des pressions exercées sur lui. La forêt est une immense richesse ! Les missions du service public, que vous vous apprêtez à transférer, sont non seulement administratives, mais aussi de police judiciaire. Nous connaissons les pressions qu'exercent depuis l'extérieur des acheteurs de bois, des sociétés de chasse, des élus locaux, avec qui l'ONF entretient des relations commerciales : vente de bois, location de chasses, vente de prestations. S'y ajoutent les usagers, les citoyens, les propriétaires, les riverains. Seul le sang-froid de l'agent administratif le met à l'abri de ces pressions. Je ne dis pas cela pour montrer du doigt ceux qui les exercent : après tout, il est bien normal qu'ils défendent ce qui est juste à leurs propres yeux. Mais seul l'État, à travers ses représentants, est le garant de la loi, de l'intégralité de la loi, de son caractère absolu.

Le résultat de cette évolution, c'est qu'un agent doit aujourd'hui surveiller en moyenne 1 700 hectares de forêt. Comprenez que c'est impossible ! Or nous avons besoin de cette inspection de détail, car seul l'agent forestier est capable de repérer les endroits où les choses tournent mal, ou ne tournent pas comme prévu. Je ne vous en donnerai qu'un seul exemple : tout le monde pensait que le réchauffement s'étendrait du sud vers le nord, mais ses effets apparaissent à des endroits qui ne sont pas ceux auxquels on s'attendait, et que les forestiers repèrent avant tout autre. Personne n'avait prévu qu'il se trouverait des zones de sécheresse en Alsace. Personne n'avait prévu qu'aux alentours de Pontarlier, il faudrait acheminer de l'eau par camion.

Ce que l'on demande aux forestiers ne correspond pas à ce qu'ils savent faire ; de surcroît, ils sont trop peu nombreux pour le faire. Ces gens aiment tant leur métier, et son objet, que nous assistons à un véritable désespoir collectif : depuis 2002, l'ONF a connu cinquante suicides. Dites-moi voir pourquoi un garde forestier se suiciderait, sinon parce que sa vie n'a plus de sens !

J'en viens aux propositions, puisqu'il faut toujours en faire : pour le bois français, il faut une planification forestière. Nous avons besoin d'une filière de production dont les machines seraient adaptées au diamètre des feuillus, donc de pouvoir, nous aussi, élaborer de telles machines. Nous avons besoin d'un marché réservé aux objets de bois. Nous avons besoin d'organiser les plantations et les formations de manière à valoriser le bois de construction, car une maison en bois résiste mieux au feu qu'une maison en béton, et le bois de menuiserie.

Il est urgentissime d'encadrer les coupes rases, au lieu de les brader à des prestataires de services privés. Je vous demanderai de considérer avec une bienveillance et une attention particulières la proposition de loi déposée à ce sujet par Mathilde Panot. Les coupes rases ont une incidence directe sur le climat : elles libèrent le CO2 retenu dans les arbres et dans les sols, réchauffent ces derniers, aggravent l'évaporation. Il n'existe aujourd'hui aucune disposition législative qui régule ces coupes. Vous auriez pu en introduire dans ce texte, mais j'imagine que vous les avez considérées comme une complexification…

Encore une fois, voyez-vous, dès le début de la grande révolution, on a discuté en France de la place des forêts et de leur relation avec le climat. Des gens qui n'avaient rien à voir avec le communisme ont décidé que les forêts domaniales constitueraient une propriété collective et inaliénable. La rédaction des articles de loi ayant trait à l'usage qui peut être fait de ces forêts montre que leur influence sur le climat avait déjà été comprise. On ne peut couper, on ne peut vendre que moins de 150 hectares, le reste étant inaliénable, et que si ces forêts publiques ne sont nécessaires ni au maintien ou à la protection des terrains de montagne, ni à la régularisation du régime des eaux ou à la protection de leur qualité, ni à l'équilibre biologique d'une région ou au bien-être de la population. C'est la loi ! Et la surveillance de l'application de ces dispositions, qui touchent à l'intérêt général, ce texte prévoit de la confier à des acteurs privés, dont personne ne peut dire ce qu'ils en feront, sinon un usage privé.

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