Intervention de Clémentine Autain

Séance en hémicycle du jeudi 29 octobre 2020 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2021 — Aide publique au développement

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémentine Autain :

L'aide publique au développement a une nouvelle fois montré son importance, cruciale, pour la résistance des pays les plus exposés à la crise sanitaire, sociale et économique. Je regrette cependant que la hausse de ses crédits, conformément à la trajectoire dessinée en 2018, ne prenne pas en compte la nouvelle donne de l'état planétaire.

Pour la première fois depuis vingt ans, mes chers collègues, l'extrême pauvreté va augmenter dans le monde. Il y a peu, en nous alertant à ce sujet, le président de la Banque mondiale a appelé les pays à se préparer à une économie différente après le covid-19. C'était présumer un peu tôt de notre capacité à nous extraire de la logique du profit, qui domine à travers le monde. Pour notre part, nous n'avons rien changé de structurel à notre économie – si nous faisons certaines choses de manière un peu différente, nous restons dans les clous d'une idéologie néolibérale. Plus que jamais, notre économie est au service des plus riches au détriment de l'intérêt général. Et nous n'avons en aucune manière non plus viré de bord en matière de solidarité internationale. Je pense d'ailleurs que les deux aspects sont assez liés.

Le report répété, depuis 2019, de la révision de notre législation relative au développement et à la solidarité internationale est le signe d'un certain désamour du Gouvernement – qui a été plus prompt lorsqu'il a voulu supprimer l'impôt de solidarité sur la fortune. Et le maintien de l'aide publique au développement à un niveau prévu dans un contexte pré-covid nous paraît incompréhensible. Cela revient à refuser de voir le mur quand on le touche.

De belles annonces, en revanche, nous en avons, si je puis dire, à la pelle. Emmanuel Macron appelle à une « annulation massive » de la dette africaine, mais cela ne se concrétise que par une suspension de paiement et des processus d'allégement. Le Gouvernement se gargarise de ses investissements dans la lutte contre le climat, alors qu'au cours des dernières années, la part des subventions ne s'est élevée qu'à 3,3 % de notre aide en la matière, contre 36 % pour l'Allemagne.

Lorsque l'on examine de plus près les projets financés par l'aide publique au développement, on s'aperçoit que nous ne sommes pas à un paradoxe près, pour le dire gentiment. L'utilisation de cette aide « au service de notre stratégie migratoire » revient une nouvelle fois à externaliser nos frontières, comme vous l'avez fait en finançant par un fonds européen les garde-côtes libyens, qui se sont rendus coupables de tant d'exactions. Le recours massif à l'agence Proparco – Promotion et participation pour la coopération économique – , qui achemine certains fonds via des paradis fiscaux et maintient une grande opacité sur ses transactions, fragilise tout l'édifice de notre aide publique au développement, puisque nous agissons ainsi comme un investisseur privé.

Mes chers collègues, la crise que nous vivons cette année, qui prend des formes très inquiétantes, doit nous pousser à revoir l'ensemble des actions que nous soutenons. Alors que moins de 50 % de la population mondiale a accès aux services de santé essentiels, la France doit impérativement réinvestir les secteurs sociaux. En 2018, moins de 20 % de notre aide au développement a été fléchée vers ces secteurs – le chiffre est tout de même assez édifiant. Faut-il rappeler que les services publics, abordables et de qualité, sont les premiers socles du développement ? Qu'ils sont les vecteurs d'un développement plus inclusif, qui agit au plus près de la grande pauvreté pour mieux la combattre ? Plus que jamais, la question des biens communs va de pair avec celle de l'avenir des services publics.

Telle est la logique à laquelle nous nous référons. Selon nous, le coeur d'une politique d'aide au développement devrait être de soutenir un développement plus humain, au service des populations, qui contribue à la réduction de la pauvreté et des inégalités ainsi qu'à l'essor de l'éducation. Or, je le répète, l'aide au développement est en train d'être dévoyée de son sens initial et s'éloigne de ces objectifs. Nous assistons à une sorte de réorientation qui vise essentiellement à développer des modèles économiques libéraux et à soutenir des entreprises, parfois au mépris des droits humains que nous devons pourtant défendre, singulièrement à un moment où nous faisons face aux djihadistes et aux terroristes se revendiquant de l'islamisme.

Il nous faut donc défendre nos principes avec fermeté, non seulement lorsque nous faisons entendre la voix de la France à l'international, mais aussi en nous en montrant cohérents dans l'élaboration de nos politiques publiques.

Je ne sais pas s'il faudra le faire encore longtemps, mais j'appelle à nouveau la France à recentrer son action de solidarité sur les populations les plus vulnérables et à consolider l'État de droit partout dans le monde.

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