Intervention de Frédérique Dumas

Séance en hémicycle du vendredi 30 octobre 2020 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2021 — Agriculture alimentation forêt et affaires rurales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

Cette période si particulière aura démontré la résilience de notre modèle agricole. Tout en subissant le défaut de main-d'oeuvre et les nouvelles contraintes logistiques, il est parvenu à assurer notre approvisionnement quotidien. Il a également surmonté la crise des débouchés résultant de la fermeture des restaurants et des cantines scolaires ainsi que du déclin des exportations. Alors que nous entrons dans une nouvelle phase de confinement, l'agriculture, déjà éprouvée, sera de nouveau confrontée à ces difficultés dont nous savons déjà qu'elles seront contrastées selon les régions et les filières.

Ce budget lui permettra-t-il de traverser la tourmente ? Cette année, les crédits de la mission, qui s'élèvent à 2,9 milliards d'euros, sont en légère hausse mais resteront sans doute insuffisants pour permettre aux agriculteurs de faire face aux défis qui les attendent. Ces crédits, j'en suis bien consciente, ne constituent qu'une petite partie des moyens alloués à la politique agricole ; la plus grosse part du budget de l'agriculture est déterminée au niveau européen par la politique agricole commune.

Le maintien à hauteur de 62,4 milliards d'euros du budget de la PAC, à la suite de l'accord trouvé le mercredi 21 octobre entre les ministres de l'agriculture européens – nous vous en félicitons, monsieur le ministre – et au vote du Parlement européen sept jours plus tard, apporte un véritable soulagement. Ce ne doit pas pour autant constituer un motif de satisfecit. En effet, ce maintien de la valeur faciale n'est qu'une façade car, compte tenu de l'inflation, il risque de se traduire par une baisse des moyens. Je ne referai pas ici les débats concernant la politique agricole commune mais je tiens à faire part de mes craintes quant à la capacité du budget à garantir une juste rémunération des agriculteurs.

Je m'inquiète également de la renationalisation des aides, qui ne peut qu'augmenter la distorsion de concurrence à l'échelle communautaire et qui va à rebours de l'objectif de verdissement de notre agriculture.

À ce propos, la transition agro-écologique se verra allouer 494 millions d'euros en autorisations d'engagement et 510 millions en crédits de paiement, au titre des contreparties nationales de mesures inscrites dans la PAC : l'indemnité compensatoire de handicap naturel, les aides aux mesures agro-environnementales et climatiques et les aides à la conversion. S'y ajouteront 1,2 milliard d'euros prévus dans le plan de relance pour la transition agricole. Je redoute toutefois que ce coup de pouce – passager pour ce qui est du plan de relance – ne suffise pas pour orienter durablement l'agriculture vers un modèle plus respectueux de l'environnement.

De même, les crédits alloués à la recherche appliquée et à l'innovation en agriculture nous semblent très insuffisants, notamment compte tenu de la nécessité de réduire notre dépendance à l'égard des pesticides, alors que, lors de l'examen du projet de loi relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire, nous avons longuement débattu de la nécessité d'accompagner la recherche de solutions alternatives aux néonicotinoïdes et plus généralement aux produits phytosanitaires. Il est inquiétant que cette priorité ne se traduise pas concrètement dans les crédits de cette mission, malgré les ambitions affichées. Pourtant, il est urgent d'accélérer la recherche en la matière. Je pense par exemple à la lutte intégrée, qui combine plusieurs techniques – la lutte biologique par la diversification des cultures et la lutte physique par l'application sur les cultures d'une couche protectrice d'huile de paraffine ou d'argile – et nous impose de revoir les méthodes de recherche pour favoriser le partage de connaissances plutôt que la méthode en silos.

S'agissant de la rémunération des agriculteurs, je regrette que le partage de la valeur ajoutée reste largement favorable à la grande distribution. La loi EGALIM ne portera ses fruits qu'à condition de corriger ces effets de bords. Y êtes-vous prêt, monsieur le ministre ? Tant que cette question centrale ne sera pas résolue, nous ne parviendrons pas à garantir le renouvellement des générations d'agriculteurs. En effet, le premier levier susceptible de favoriser l'installation de jeunes agriculteurs, c'est la garantie qu'ils pourront vivre décemment de leur métier. Les crédits alloués à la dotation aux jeunes agriculteurs et aux stages à l'installation ne suffiront pas à contrecarrer à eux seuls le mouvement de désertion des campagnes. Nous attendons également vos propositions de réforme du foncier agricole, afin que les exploitations restent accessibles aux jeunes agriculteurs.

Cette mission comporte toutefois un point véritablement positif : la reconduction jusqu'en 2023 de l'exonération des charges patronales pour l'emploi de travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi dans le PLFSS, qui était une demande de longue date du groupe Libertés et territoires.

En conclusion, nous estimons que la hausse limitée des crédits de la mission et du ministère ne permettra pas de s'attaquer résolument aux problèmes structurels qui minent notre agriculture. À cela s'ajoute l'absence de méthode concrète pour changer de paradigme. C'est pourquoi le groupe Libertés et territoires s'abstiendra majoritairement sur les crédits de cette mission.

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