Intervention de Julien Denormandie

Séance en hémicycle du vendredi 30 octobre 2020 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2021 — Agriculture alimentation forêt et affaires rurales

Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation :

J'ai l'honneur de vous présenter ce matin les crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » dans un contexte ô combien singulier, marqué à la fois par de nouveaux drames au sein de la République et par une pandémie qui ne cesse de croître, mais marqué aussi par une valeur, une dynamique qui nous oblige : l'unité. Face aux défis que la République rencontre, au-dessus de tous les clivages qui peuvent nous opposer, l'unité doit rester le point cardinal de l'ensemble de nos actions.

Dans ce contexte particulier, ces femmes et ces hommes, agriculteurs, éleveurs, concourent à nouveau chaque jour à ce qui fait la République, à ce ciment qui lie l'ensemble de ses parties prenantes : celles et ceux qui, parce qu'ils travaillent ardemment jour après jour, arrivent à faire en sorte que la République tienne. La République a tenu, pendant le premier confinement, grâce aux personnes qui se tenaient en première ligne, mais aussi grâce à celles qui agissaient en deuxième ligne, ces femmes et ces hommes que je viens d'évoquer et à qui je voudrais commencer par rendre hommage à cet instant. Il va sans dire que la détermination des agriculteurs qui font tenir le pays est à nouveau totale à l'aube de ce nouveau confinement. Face à ce contexte si singulier, si particulier, il nous faut absolument présenter un budget qui soit à la hauteur des défis.

Si l'on y ajoute les crédits de paiement et les autorisations d'engagement au titre de l'éducation agricole, le budget que je vous présente intègre un volume d'AE d'environ 4,8 milliards d'euros. Si j'y adjoins les crédits du plan de relance, soit 1,2 milliard d'euros, ainsi que les fonds et crédits européens, qui dépassent 9 milliards d'euros, ainsi que les différents dispositifs fiscaux, les moyens prévus pour mettre en application les politiques du ministère approchent au total 20 milliards d'euros par an. C'est évidemment un montant très ambitieux, très important, mais la situation l'exige.

J'ai coutume de dire – vous m'avez souvent entendu le souligner – que ce n'est pas le budget qui doit guider la politique, mais la politique qui doit guider le budget. À cet instant, je me dois donc de vous présenter ma vision de la politique que j'entends mener et vous expliquer en quoi elle me conduit à vous présenter ce budget.

Ma vision se résume à un mot : la souveraineté. Le principal défi auquel le système agricole et le système agroalimentaire font face est celui de la souveraineté. Nous sommes trop dépendants de nombreux facteurs, parfois depuis des années. Parce qu'une nation forte ne saurait être forte sans une agriculture forte, nous devons de toute façon regagner en souveraineté, et c'est encore plus vrai actuellement. On a très bien vu en effet que tous les pays qui ont résisté aux défis alimentaires, notamment pendant les périodes de confinement, étaient ceux qui disposaient d'une agriculture et d'une alimentation fortes. Il est donc plus que jamais essentiel de relever le défi de la souveraineté. Concrètement, gagner en souveraineté signifie être moins dépendant.

La première dépendance est la dépendance au marché, c'est-à-dire au revenu, que plusieurs d'entre vous ont évoquée. La mère des batailles dans le monde agricole reste et restera la répartition de la valeur. Comme l'a souligné l'ancien ministre Stéphane Travert, c'est le sujet qu'ont lancé les EGA, les états généraux de l'agriculture. Face à ce défi ô combien complexe de la répartition de la valeur, j'avance avec trois idées simples : confiance – un état d'esprit a changé – ; exigence – la loi EGALIM doit être mise en application de bout en bout, avec l'ensemble des sanctions et contrôles afférents – ; transparence – car c'est elle qui permet de modifier les rapports de force que sont les relations commerciales. Pour concrétiser ces idées, j'ai demandé à Serge Papin, qui avait animé l'atelier no 5 des EGA, de venir nous aider de nouveau.

Le deuxième élément déterminant, concernant le revenu, est évidemment la politique agricole commune. Plusieurs d'entre vous l'ont souligné : la politique agricole commune que nous venons de négocier entre ministres constitue une immense avancée sur deux points. Premièrement, le socle financier a été consolidé : avec l'obtention de plus de 20 milliards d'euros supplémentaires, on est très loin de la première proposition faite par la Commission. Deuxièmement, cette politique agricole commune entraîne pour la première fois une convergence entre tous les États membres sur les défis environnementaux ; personne ne peut accepter que, sur nos étals, continuent d'être proposés deux concombres, tous deux produits en Europe mais selon des normes environnementales différentes et, de ce fait, vendus aux consommateurs à des prix différents. Ma première détermination, avec ce budget, consiste donc à améliorer le revenu de nos agriculteurs.

La deuxième dépendance est la dépendance aux aléas du changement climatique, contre laquelle il convient de lutter par l'investissement.

D'abord, dans le plan de relance, nous dédierons une ligne de 100 millions d'euros destinés à financer la mise en place d'équipements de protection face aux aléas du changement climatique, par exemple les filets anti-grêle dans l'arboriculture ou l'amélioration des systèmes d'irrigation.

Ensuite, comme l'a indiqué l'ancien ministre Stéphane Travert, nous prévoyons 594 millions d'euros en AE et 510 millions d'euros en CP au titre des contreparties nationales des mesures inscrites dans la PAC, dont l'une des spécificités est justement la lutte contre ces aléas. Par ailleurs, le budget contient des mesures destinées à favoriser le maintien sur les territoires, auquel je vous sais tous attachés : je pense par exemple aux ICHN, aux mesures agro-environnementales ou à la conversion au bio.

Et puis, une attention toute particulière doit être accordée à la forêt, à laquelle 200 millions d'euros sont dédiés dans le plan de relance. Dans ce domaine, la hausse des crédits destinés à la politique forestière et le suivi du rapport rédigé par la rapporteure Anne-Laure Cattelot sont également des points essentiels.

Le dernier élément que je veux évoquer au sujet de la lutte contre les aléas du changement climatique, c'est la question de l'eau, fondement même de l'agriculture, comme l'a dit le député Turquois, et qui constitue un défi majeur. Sur ce point, je salue les très belles avancées obtenues dans le cadre de la loi ASAP, adoptée cette semaine. Dans ce nouveau cadre, notre action doit constituer un triptyque : simplifier les processus, consulter sur le terrain et passer en mode projet plutôt que de débattre sans fin sur les retenues individuelles et collectives.

La troisième dépendance dont souffre l'agriculture française est la dépendance aux importations. Comme l'ont dit plusieurs d'entre vous, il n'est plus acceptable de dépendre autant, par exemple, des tourteaux de soja brésiliens : il faut mettre fin à ce système organisé depuis plus de cinquante ans. Le fameux plan protéines, auquel le plan de relance dédie plus de 100 millions d'euros, doit permettre une avancée significative en la matière.

La quatrième dépendance, que l'actualité, notamment celle liée à la crise de la covid-19, nous rappelle malheureusement chaque jour, est la dépendance aux enjeux sanitaires ou phytosanitaires dans le domaine animal.

Les moyens budgétaires dédiés à la santé et la protection animale et végétale vont donc connaître une augmentation de 5,2 % par rapport à l'année précédente. Sachant que la représentation nationale y est très attachée, je souhaite développer une approche la plus transversale possible dans ce domaine ; je pense par exemple à l'initiative One Health, sur laquelle le Parlement s'est beaucoup mobilisé ces derniers mois.

Nous devons aussi absolument accompagner les agriculteurs, ce qui est l'objet du plan écophyto, auquel vont être consacrés 71 millions d'euros, mais je sais que de nombreuses interrogations demeurent et je m'engage devant vous à continuer à travailler sur ce dossier afin d'essayer de trouver la meilleure complémentarité possible entre les différents outils dont nous disposons, à savoir le budget sur le programme prioritaire de recherche, les fonds liés au Grand plan d'investissement ou encore la ligne de 135 millions d'euros prévue dans le plan de relance pour financer l'amélioration des agroéquipements, qu'il s'agisse des pulvérisateurs ou d'autres dispositifs mécaniques.

Enfin, je veux évoquer les défis essentiels auxquels nous devons faire face en matière d'élevage et de biosécurité. N'oublions pas que la peste porcine africaine sévit en Allemagne et que le virus H5N8, provenant de la Russie et du Kazakhstan, se trouve maintenant en Hollande. Le plan de relance comporte une ligne de 250 millions d'euros pour moderniser les abattoirs et les élevages et, ce faisant, agir au niveau de la prévention.

La cinquième dépendance de l'agriculture est la dépendance au défi démographique, extrêmement importante et que nous devons prendre à bras-le-corps. En effet, près de la moitié de nos exploitations agricoles françaises verront leur chef d'exploitation partir à la retraite dans les prochaines années.

La première question qui se pose à cet égard est celle du revenu : aucun parent n'encouragerait son enfant à s'engager dans une voie qui ne lui assurerait pas un revenu décent.

Pour ce qui est de la deuxième question, celle de l'accompagnement à l'installation, évoquée par nombre d'entre vous, ce budget maintient la DJA – dotation jeunes agriculteurs – dans le cadre du programme d'accompagnement à l'installation, ainsi que l'AITA – accompagnement à l'installation-transmission en agriculture.

La troisième question, tout aussi cruciale, est celle de l'enseignement agricole, où, année après année, nous voyons diminuer le nombre d'apprenants. Notre enseignement agricole est pourtant une pépite française, que tous les ministres européens de l'agriculture sans exception nous envient. À l'heure de la rentrée scolaire après les vacances de la Toussaint, quelques jours après l'assassinat atroce de Samuel Paty, professeur à Conflans-Sainte-Honorine, je veux à nouveau saluer l'engagement du corps enseignant, et en particulier de l'enseignement agricole.

Quatrièmement, nous devons nous atteler à la question du foncier, qui mobilise déjà plusieurs d'entre vous, afin de trouver des solutions en matière de préservation, de valorisation mais également de transmission.

Je conclurai mon propos en évoquant plusieurs points auxquels je sais que le Parlement est très sensible et qui ont donc constitué pour moi des lignes rouges dans ce budget. Dès ma prise de fonction, j'ai voulu apporter aux agriculteurs une réponse sur le dispositif des TODE, auquel nous donnons une perspective de plus de deux ans – je sais que certains auraient voulu aller plus loin, mais nous en reparlerons.

J'ai également voulu maintenir le budget des chambres d'agriculture, mettant ainsi fin à un débat qui se poursuit depuis plusieurs années. En effet, j'estime que les chambres d'agriculture doivent être préservées en raison de la mission très importante qui leur incombe, consistant à accompagner la dynamique que nous insufflons à l'agriculture, notamment dans le cadre du plan de relance.

J'en viens au CASDAR, qui, je le rappelle, est financé par des prélèvements sur les chiffres d'affaires des différentes exploitations constatés l'année précédant celle du budget concerné, ce qui signifie que le montant réel des prélèvements effectués sera très certainement inférieur au plafond que ce projet de loi de finances propose. Je sais qu'il s'agit là d'un sujet sensible, et nous aurons l'occasion d'y revenir.

Pour répondre à la proposition faite par plusieurs d'entre vous, je confirme que ce serait une excellente idée que de réactiver le groupe de travail transpartisan regroupant les députés Travert, Dive, Jumel, Potier et Ramos, dont j'avais lu le rapport de juillet 2020 avec le plus grand intérêt.

En conclusion, je veux dire à nos concitoyens qu'il faut continuer durant le confinement à consommer des produits frais, français et locaux. La chaîne alimentaire tient et continuera de tenir, il n'y a aucune pénurie à prévoir, et la période que nous traversons constitue une bonne occasion de faire preuve de patriotisme et de solidarité nationale. Continuer à consommer des produits frais, français et locaux, c'est aussi une belle façon de rendre hommage aux femmes et aux hommes qui se mobilisent tous les jours et même parfois toutes les nuits, pour assurer à chacun d'entre nous l'accès à une alimentation de qualité, clé d'une bonne santé.

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