La commission de la défense nationale et des forces armées a d'ores et déjà donné un avis favorable sur les crédits de la mission « Défense ». Je me félicite de soutenir un Gouvernement qui a su respecter ses engagements à l'égard des Français et, plus particulièrement, des militaires.
La loi de programmation militaire est respectée pour la troisième année consécutive, ce qui est inédit dans l'histoire de ces lois de programmation, et nous voyons aux incidents dont le récit remplit quotidiennement nos médias combien la hausse du budget de la défense est bienvenue.
Pourtant, je ne peux manquer d'observer le paradoxe suivant : alors que les budgets n'ont jamais été aussi élevés depuis plus d'une décennie, que la LPM est respectée à la lettre et que les armées se sont dotées de contrats de maintenance performants, l'armée de terre peine à intensifier sa préparation opérationnelle. Elle atteint péniblement 56 % de ses objectifs, exprimés en nombre d'heures sur matériels majeurs en 2020, et la prévision pour 2021 est à 57 %. En 2021, le temps d'entraînement d'un équipage de char Leclerc sera ainsi moitié moindre que ce qu'il devrait être. Le nombre d'heures d'activité sur ce matériel chutera de 20 000 heures en 2019 à 13 000 heures prévues en 2021.
Cette évolution est particulièrement préoccupante alors que l'armée de terre doit se préparer à des conflits de haute intensité. Comment l'expliquer ? La progression de l'activité opérationnelle de l'armée de terre est aujourd'hui ralentie par une montagne de besoins financiers à satisfaire, la montagne du MCO, ou maintien en conditions opérationnelles.
Après des années de report des livraisons de nouveaux matériels, de sous-exécution des crédits de « petit équipement » et de coupes dans le budget de la préparation opérationnelle pour financer les surcoûts des OPEX, la loi de programmation militaire 2019-2025 a pris le problème à bras-le-corps : la régénération et la modernisation des équipements font l'objet d'un effort sans précédent, et la provision au titre des surcoûts OPEX est portée progressivement au niveau des coûts constatés. Cet effort est indéniable et produit des effets visibles chaque jour.
Bien que très engagée sur le plan opérationnel, qu'il s'agisse d'opérations programmées ou imprévues – Résilience, Amitié au Liban ou, depuis hier, renforcement de Sentinelle – , l'armée de terre a repris le chemin des terrains d'entraînement. Cet effort se révèle pourtant insuffisant pour satisfaire aux ambitions de la LPM et à celle, exprimée par le chef d'état-major de l'armée de terre dans sa vision stratégique, d'une « armée de terre durcie ».
D'abord, parce que le rythme des opérations reste soutenu, que ce soit à l'étranger ou sur le territoire national. Les OPEX ont un coût élevé et imprévisible, trop déstabilisant pour être supporté par les seuls états-majors. Ensuite, parce que les renoncements d'hier produisent les dérapages de coût d'aujourd'hui. La relance des chaînes de production des turbomachines du char Leclerc, fermées en 2014 pour économiser 4 petits millions d'euros, coûtera plusieurs centaines de millions d'euros – et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres.
En outre, le ministère des armées poursuit sa modernisation de manière ambitieuse : le maintien en condition opérationnelle des nouveaux équipements, plus sophistiqués, est donc plus coûteux ; de même, les contrats « globaux » ou « verticalisés » de soutien des équipements sont eux aussi plus performants, mais également plus coûteux.
Enfin, le contexte a changé. La pandémie de coronavirus de 2020 a suscité une prise de conscience sur le besoin de relocaliser certaines productions stratégiques, de maintenir des compétences, d'assumer des doublons et de reconstituer des stocks, aujourd'hui historiquement bas.
Pour toutes ces raisons, une montagne de coûts se dresse devant l'armée de terre et l'empêche de se préparer aux chocs de demain, que nul ne peut prédire mais qui seront très vraisemblablement plus durs et d'ampleur plus grande que les opérations actuelles.
Madame la ministre des armées, je pense que ces sujets devraient être à l'ordre du jour d'une actualisation de la loi de programmation militaire. D'ici là, vous connaissez mes propositions pour libérer le potentiel de l'armée de terre à court terme.