Intervention de Alexis Corbière

Séance en hémicycle du vendredi 30 octobre 2020 à 21h00
Projet de loi de finances pour 2021 — Défense ; anciens combattants mémoire et liens avec la nation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Corbière :

Je suppose que je ne décevrai personne en commençant par une critique, même si vous n'êtes pas vraiment responsables de la situation que je dénonce. Nous discutons d'un budget de la défense, alors que les orientations stratégiques à l'application desquelles il doit concourir nous échappent. Selon moi, comme selon l'opinion que le groupe La France insoumise défend, c'est l'une des marques de fabrique critiquables de la Ve République.

Nos interventions militaires, les choix stratégiques et leurs conséquences ne sont pas débattus ici. S'ils l'étaient, je pense que nous y gagnerions. À l'heure où nous sommes attaqués, où un consentement à certains sujets est nécessaire, où nos troupes sont engagées au Mali, comme l'orateur précédent l'a évoqué, il serait légitime et juste que nous nous interrogions politiquement sur le sens et la présence de nos militaires. Ensuite, en fonction de nos choix politiques, nous déciderions quels moyens matériels seraient nécessaires pour les faire aboutir. Je ne crois pas bon que le Parlement soit écarté et que les décisions ne soient prises que par le Gouvernement, voire par le Président de la République seul, puisque c'est une de ses prérogatives. Une fois de plus, c'est une critique que nous adressons à nos institutions.

Je voudrais l'illustrer par des exemples. Le projet du nouveau porte-avions, la vente de dix-huit avions Rafale à la Grèce, le déploiement du service national universel : autant de contours auxquels le projet de budget qui nous est présenté n'apporte pas de détails. C'est un peu un budget à trous, on n'y trouve ni mention de la vente des dix-huit avions Rafale, ni le montant précis correspondant à cette montée en puissance plusieurs fois affirmée du service national universel et des corps d'armée concernés. Franchement, tous ces points posent problème.

S'agissant des opérations extérieures, le Gouvernement décide souvent unilatéralement. Il y a là un paradoxe : nous constatons parfois que ces opérations sont sous-budgétées, alors qu'elles visent, selon la formule souvent répétée, à mettre la force au service du droit – une fois de plus, sans que nous puissions en débattre.

Je veux bien examiner le fond, puisqu'il faut aller vite et que je dois me contenter d'une prise de parole, plutôt que d'une vraie prise de décision. Ce budget est vanté comme un budget de relance. Il n'en reste pas moins, selon moi, en deçà d'attentes imposées par le contexte. Sur le 1,7 milliard d'augmentation, 1 milliard provient de l'anticipation de commandes dans des programmes lourds. Mais de quelle relance s'agit-il, quand 80 % de l'effort budgétaire de la loi de programmation militaire sont prévus pour après 2023 ? Tenons-nous-le pour dit : le suivisme de cette loi de programmation, datée de deux ans, et de ses objectifs, n'est pas vraiment un synonyme de relance.

De quelle relance s'agit-il quand des PME de notre industrie de défense peinent à être soutenues, comme d'autres orateurs l'ont évoqué, alors qu'elles sont essentielles pour notre souveraineté militaire ? Je pense notamment, entre autres cas, à Tarbes industries, entreprise stratégique menacée de liquidation. Comme vous le savez, madame la ministre, mon collègue Bastien Lachaud et moi sommes intervenus pour vous en faire part.

J'en viens au décalage qui sépare cette prétendue relance et ses traductions concrètes. La loi de programmation militaire se voulait, pour reprendre votre expression, à hauteur d'homme ; mais tout porte à croire qu'elle n'est pas vraiment à la hauteur des exigences de la condition militaire, même si quelques améliorations ont été apportées ; en matière d'hébergement, de salaires, de petit équipement, vous le savez, les avancées ne répondent pas toujours aux attentes. Il en va de même de l'augmentation de 27 % des crédits du service de santé des armées. La pandémie est loin d'appartenir au passé, et il n'y a aucune augmentation significative d'effectifs. On peut craindre que tout cela ne soit pas suffisant pour protéger véritablement nos soldats.

Profitant de ce court moment, je veux surtout dire un mot des tensions qui agitent aujourd'hui la France et la Turquie. Le sujet a souvent été abordé ici, mais je veux souligner un aspect qui – sauf défaut d'attention de ma part – n'a pas encore été évoqué : nous faisons partie d'une alliance militaire avec la même Turquie ! Nous sommes engagés dans l'OTAN avec un dirigeant étranger qui demande au chef des armées françaises d'aller se soigner ! Quelles conclusions en tirons-nous ? Aucune. Aucune ! Quelques tweets ont été envoyés, mais, tout de même, la menace apparaît clairement, y compris avec des effets intérieurs inacceptables, lorsque des partisans du président Erdogan défilent dans les rues de certaines de nos villes, menaçant certains de nos compatriotes, notamment d'origine arménienne. Mais nous sommes engagés dans une alliance militaire avec la Turquie ! Il serait peut-être temps d'en tirer des conséquences, faute de quoi on ne comprend pas le ton qui monte parfois.

Concernant les crédits alloués aux anciens combattants, des choses ont été faites. Bien sûr, j'ai évoqué quelques critiques, et l'on pourrait en faire davantage. Mais mon dernier mot, dans les quelques secondes qui restent, sera pour la question importante du rapport que nous entretenons avec l'Algérie. Ce qu'on appelle la guerre d'Algérie est à la fois l'un des derniers grands et vifs conflits dans lesquels nous avons été engagés, douloureusement, et la fin d'une histoire coloniale. J'attends beaucoup de la mission confiée à l'historien Benjamin Stora ; je suppose que nous en rediscuterons. J'espère qu'elle apportera des éléments de réponse forts. Le Président de la République a demandé une réflexion sur ce qui pourrait contribuer à la réconciliation ; je crois que nous avons à y travailler fortement car il y a là, me semble-t-il, quelques effets d'une vivace actualité au regard de tensions actuelles dans notre pays.

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