En 2021, la mission « Justice » bénéficiera d'un peu plus de 12 milliards d'euros en autorisations d'engagement et de 10 milliards d'euros en crédits de paiement. Le projet de loi de finances pour 2021 respecte la trajectoire budgétaire prévue par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, contrairement à celui de l'année dernière : la loi de finances pour 2020 prévoyait un budget inférieur de 115 millions à cette programmation, pourtant adoptée quelques semaines plus tôt.
Cette augmentation n'est donc rien d'autre qu'un rattrapage budgétaire, en dépit de ce que veut nous faire croire M. le ministre de la justice. Toujours est-il que le projet de loi de finances prévoit un schéma d'emplois de 1 500 ETP – équivalents temps plein – supplémentaires, dépassant légèrement le chiffre de la loi de programmation. Le Gouvernement a par ailleurs annoncé qu'il souhaitait renforcer la justice de proximité. Tous les programmes de la mission voient d'ailleurs progresser leurs moyens humains et budgétaires.
Néanmoins, l'efficacité d'une politique publique ne tient pas uniquement à l'importance des crédits et des emplois dont elle dispose. Encore faut-il que cette augmentation des moyens s'accompagne d'une amélioration significative des performances du ministère de la justice, ainsi que de la manière dont ces moyens sont concrètement alloués et déployés. À ce titre, il faut alerter sur trois points qui suscitent des inquiétudes majeures.
Tout d'abord, concernant la justice judiciaire, le bleu budgétaire confirme l'allongement des délais de jugement des juridictions. Ce n'est, hélas, pas une surprise : j'appelle votre attention sur ce sujet depuis plusieurs années. Plus que jamais, il est indispensable et urgent que le ministère se saisisse pleinement des moyens qui lui sont octroyés afin de réduire l'engorgement des juridictions de notre pays.
Ensuite, l'administration pénitentiaire se voit confier 4,3 milliards en crédits de paiement et 6,3 milliards en autorisations d'engagement. Il s'agit, bien évidemment, de poursuivre le plan de création de 15 000 nouvelles places de prison d'ici à 2027, dont 7 000 d'ici à 2022. Cependant, là encore, tout n'est pas qu'une question de moyens. Les derniers exercices budgétaires ont montré que le ministère de la justice peinait à consommer l'intégralité des crédits prévus pour ses investissements immobiliers. C'est donc avant tout le pilotage du plan pénitentiaire qu'il convient d'améliorer.
Je ne suis d'ailleurs pas le seul à émettre des doutes sur ce point. Le secrétariat général pour l'investissement, le SGPI, qui évalue pour le compte du Gouvernement les grands projets d'investissement, a émis sur l'exécution de ce plan un avis réservé – vous avez bien entendu : un avis réservé, ce qui est extrêmement rare. Tout cela est inquiétant et témoigne d'un certain recul de la lutte contre la surpopulation carcérale.
Enfin, concernant le renforcement de la justice de proximité, le Gouvernement a annoncé 200 millions et 950 emplois fléchés en vue de lutter contre la délinquance du quotidien et de rapprocher la justice des justiciables. La mesure est bienvenue : le groupe Les Républicains et moi-même avions d'ailleurs défendu cette ligne lors de l'examen du projet de loi de programmation.
Toutefois, il faut que ces moyens soient mis au service d'une réelle justice de proximité. Cela suppose l'affectation d'au moins un nouveau magistrat dans chaque tribunal, pour lutter contre la tendance à l'éloignement de la justice dans les territoires ruraux et pour garantir la présence d'un juge d'instruction à temps plein dans chaque tribunal judiciaire, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, monsieur le garde des sceaux. Or rien ne nous assure que ces mesures seront prises. Il faudra que le Gouvernement s'y engage, sous peine de remettre en cause la parole de l'État.
Je voudrais maintenant, monsieur le ministre, vous poser quatre questions précises. Pouvez-vous indiquer à la représentation nationale quel est aujourd'hui le taux de vacance chez les greffiers ; chez les surveillants pénitentiaires ; vers quoi sera fléchée l'augmentation annoncée de l'aide juridictionnelle ; si vous considérez comme soutenable l'augmentation des crédits du plan pénitentiaire, qui a déjà pris du retard ? La réponse à ces questions révélera si le Gouvernement est au rendez-vous.
En guise de conclusion, j'insisterai sur le fait que, contrairement à ce qu'écrivent certaines gazettes, il n'y a pas d'effet Dupond-Moretti sur le budget de la mission « Justice ». Les points d'alerte sont suffisamment importants pour que je me voie contraint de suggérer un vote défavorable à ce budget.