Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du lundi 2 novembre 2020 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2021 — Justice

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Le Gouvernement se targue d'une augmentation historique du budget de la justice pour 2021, en mettant en avant une augmentation des crédits de 8 %. En réalité, les chiffres montrent plutôt une augmentation de 6 % environ entre 2020 et 2021. En outre, la hausse budgétaire finance pour l'essentiel une justice répressive, au détriment de la réinsertion, et des recrutements précaires, qui ne répondent pas aux demandes des personnels de justice. En témoigne l'exemple du programme 182 relatif à la protection judiciaire de la jeunesse : la construction de centres éducatifs fermés se poursuit, alors que ce sont des structures décriées, antichambres de la prison selon l'Observatoire international des prisons. S'agissant du milieu ouvert en revanche, 3 millions d'euros seulement sont dévolus au financement des actions de formation et d'insertion des jeunes – un montant à comparer aux 2,8 millions prévus pour l'entretien du parc informatique et aux 3,8 millions destinés à l'entretien du parc automobile.

La même politique budgétaire s'applique à l'administration pénitentiaire : davantage de prison au détriment de la réinsertion. Ainsi, la forte hausse des crédits immobiliers s'inscrit dans la continuité de la loi de programmation, qui prévoyait la création de 15 000 places de prison supplémentaires d'ici 2027, tandis que la très faible hausse des crédits alloués à la prévention de la récidive et à la réinsertion des personnes placées sous main de justice montre bien la priorité réelle du Gouvernement dans ce domaine.

Au-delà de ces exemples, l'état dans lequel se trouve aujourd'hui la justice de notre pays devrait appeler moins d'autosatisfaction de la part du Gouvernement. Selon un rapport d'octobre 2018 de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice – CEPEJ – , qui dépend du Conseil de l'Europe, la France ne dépensait alors que 68 euros par habitant et habitante pour la justice, quand l'Allemagne en dépensait 128. La France se place à la trente-septième place sur quarante et une en ce qui concerne le budget de la justice rapporté au PIB, avec quatre fois moins de procureurs que la moyenne européenne – 2,9 pour 100 000 habitants – , tandis qu'entre 2016 et 2018 la moyenne augmentait en Europe de 11,3 à 11,7. On compte aussi 2,2 fois moins de juges et 2 fois moins de personnels de greffe. En 2018, les efforts budgétaires de la France n'étaient pas encore assez importants au regard de sa richesse : il faudrait en réalité que le budget atteigne 14 milliards d'euros, loin des 8 milliards prévus hors compte d'affectation spéciale « Pensions. » Le compte n'y est définitivement pas.

Qui plus est, il importe de savoir dans quoi ce budget sera investi. Le Premier ministre Jean Castex avait promis, dans son discours de politique générale, de doter les territoires de juges de proximité. Finalement, il n'y a pas de nouveaux juges, mais de simples postes précaires destinés à renforcer la justice pénale de proximité. Pourquoi ne pas recruter les magistrats et magistrates en plus grand nombre ? Ce budget n'en prévoit que cinquante de plus, contre cent l'année dernière.

De notre point de vue, on ne peut renforcer la justice de proximité avec des juristes assistants et assistantes, car ces personnes sont souvent des doctorants résidant dans des centres urbains, qui aident à la recherche et à la prise de décision, mais n'ont pas les marges de manoeuvre et les prérogatives des magistrats.

Ces personnels statutaires doivent également être formés mieux et de façon plus régulière, et le budget de la justice doit répondre à cette nécessité, comme le demandent des institutions telles que la Commission nationale consultative des droits de l'homme – CNCDH – , qui a appelé à la création de pôles antidiscrimination au sein des parquets afin de permettre des actions plus efficaces, une proposition que le Gouvernement et sa majorité ont toujours repoussée, notamment en rejetant, l'année dernière, nos amendements allant en ce sens.

Les magistrats doivent être plus nombreux et mieux formés, de même que les personnels de greffe, pour une véritable justice de proximité au service de la population. Malheureusement, c'est loin d'être le cas, c'est pourquoi nous ne sommes pas satisfaits du budget qui nous est présenté et nous ne le soutiendrons pas – mais nous proposerons des amendements dans l'espoir de l'améliorer un peu.

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