Monsieur le ministre, vous avez annoncé une augmentation historique du budget de la justice, de 8 % par rapport à 2020, et nous saluons l'effort consenti. Précisons toutefois que le budget pour 2020 avait été revu à la baisse, à 7,5 milliards d'euros, et que 7,7 milliards étaient prévus pour celui-ci. Cet accroissement recouvre donc un rattrapage, il convenait de le préciser.
La Commission européenne pour l'efficacité de la justice, dans son rapport de 2020, établit un triste constat pour la France : elle compte 3 procureurs pour 100 000 habitants contre 12,13 en moyenne dans les États membres. Au lieu de contester les conclusions de ses travaux, comme l'ont fait quelquefois vos prédécesseurs, faisons-en un argument supplémentaire dans la défense d'une cause qui nous est commune.
Nous sommes là pour vous soutenir, monsieur le ministre, dans la quête de crédits très substantiellement majorés. Nous ne pouvons plus retarder un engagement demandé avec éclat et avec les mots qu'il fallait par notre ami et collègue Jean-Jacques Urvoas, grand connaisseur de surcroît du monde du renseignement. Les ressources judiciaires et policières doivent être mises sur la table. Le moment est venu d'écrire une nouvelle page pour la justice avant que les citoyens ne s'en détournent totalement et parce que le démantèlement de l'islamisme politique, au coeur de nos préoccupations, exige de la surveillance, de la réactivité, un suivi judiciaire, donc des moyens. Ce budget n'y suffira pas. Les tâches qui s'imposent à notre démocratie sont immenses, en lien avec la société numérique qui nous caractérise désormais. La surveillance et la condamnation des personnes diffusant des propos haineux sur les réseaux sociaux, incitant à la violence, postant des informations privées, mettant ainsi en danger des personnes concernées, imposent, vous l'avez dit, monsieur le ministre, des juges à la manoeuvre et réactifs. La traque de ce qui ne relève plus de la liberté d'expression exige, afin de préserver la cohésion de notre société et garantir sa protection, des moyens substantiels que l'on ne pourra pas mobiliser dans l'épaisseur d'un trait.
Vous l'avez compris, nous considérons que ce budget, comme les précédents, n'est pas à la hauteur du combat qui nous attend. Il est celui d'un fonctionnement amélioré de la justice tel que nous le connaissons depuis des années, de cette justice qui accueille, qui tranche des litiges entre particuliers, qui juge les délits et les crimes, qui condamne, enferme ou fait le choix d'une peine alternative, qui libère aussi. Cette justice civile et pénale, aux abois depuis des années, qui a montré ses difficultés à gérer le premier confinement, doit être l'objet de notre préoccupation première, celle des parlementaires, celle du Gouvernement, quels qu'ils soient.
Ces observations étant faites, quelques remarques sur le budget lui-même. Dans le programme 101 « Accès au droit et à la justice », qui serait en augmentation de 10 %par rapport à 2020, l'aide juridictionnelle, qui constitue la principale des actions qui le composent, affiche une augmentation de 28,5 millions, mais j'avoue n'avoir pas très bien compris comment vous arrivez à un tel montant. J'aimerais donc que vous nous apportiez des éclaircissements sur ce point, monsieur le ministre. À produit intérieur brut équivalent, les pays européens ont consacré à l'aide juridictionnelle un montant deux fois plus important en moyenne. Le Gouvernement met également en valeur une augmentation de plus de 7 % des crédits alloués à la PJJ, mais elle ne se traduit que par 40 ETP supplémentaires pour 2021 : comme c'est dur, monsieur le ministre, de rattraper une telle situation, quand l'étiage est insuffisant.
De manière générale, dans le champ pénal, si nous voulons que l'alternative à l'enfermement soit une réalité et une réussite, il faut consacrer beaucoup de moyens aux ressources humaines afin d'encadrer les personnes condamnées à des peines alternatives. En cohérence, il aurait fallu accorder une priorité financière à cette transition bienvenue, moins coûteuse et plus efficace pour lutter contre la récidive. Le travail admirable accompli par les professionnels, qu'ils soient magistrats, greffiers, avocats, personnels de l'administration pénitentiaire, ne peut pallier les carences que nous connaissons.
Au-delà des questions budgétaires, le monde de la justice n'échappera pas à une révolution culturelle dans laquelle les délais de jugement, la responsabilité, l'ouverture vers une considération réciproque des différents acteurs, le numérique et l'éthique doivent avoir toute leur place. Pouvons-nous compter sur vous, monsieur le ministre ?
Le groupe Socialiste et apparentés votera le budget de la mission « Justice ».