J'ai déjà eu l'occasion d'exprimer en commission des lois les sentiments que m'inspire cette mission « Justice » du PLF 2021 dont les crédits de tous les programmes sont en nette augmentation : un sentiment de soulagement d'abord, parce que le ministère de la justice et tous les acteurs qui en dépendent attendaient depuis longtemps une revalorisation de ces moyens ; un sentiment de fierté, ensuite, car sans se satisfaire de viser les objectifs fixés par la grande loi du 23 mars 2019, ce ministère cherche à innover et à s'adapter aux attentes de la société ; un sentiment de confiance, enfin, car il me semble que toutes les problématiques de terrain vont enfin pouvoir être résolues.
La justice du quotidien est à l'ordre du jour et ce budget va nous permettre de donner des moyens d'en redessiner les contours. Le groupe Agir ensemble prendra toute sa part dans cette tâche avec une proposition de loi destinée à améliorer l'efficacité de la justice de proximité et la réponse pénale. On le sait, notre service public de la justice n'est pas à la hauteur d'un grand pays comme le nôtre. La France est l'un des États de l'Union européenne qui investit le moins dans sa justice. Les délais de traitement des affaires au civil comme au pénal sont trop longs. Nos prisons sont surpeuplées et vétustes. La décision de la Cour européenne des droits de l'homme, la CEDH, du 30 janvier dernier, qui a condamné notre pays pour traitement inhumain et dégradant en raison des conditions de détention imposées au requérant, est venu rappeler les défaillances structurelles de notre gestion de la condition carcérale. La France se place au troisième rang en Europe pour ce qui est de la surpopulation carcérale. Pourtant, nous savons que la prison est désocialisante et criminogène : elle brise plus qu'elle n'élève. Rappelons que 63 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme font l'objet d'une nouvelle condamnation dans les cinq années suivant leur libération.
Les objectifs sont clairs : d'une part, promouvoir une justice de qualité, rendue dans des délais raisonnables ; d'autre part, incarcérer moins et dans de meilleures conditions.
Les alternatives aux poursuites servent ces impératifs : elles permettent d'apporter une réponse pénale certaine et rapide aux petits délits du quotidien ; elles contribuent à désengorger les tribunaux, autorisant les magistrats à se recentrer sur leur office : juger – je dis bien juger, et non faire d'inutiles leçons de morale à des délinquants qui pourraient, parfois, avoir oublié les raisons de leur présence devant un tribunal, tant les délais de convocation sont longs – ; elles permettent enfin de sanctionner sans incarcérer – sachant que, selon un rapport du Conseil économique, social et environnemental consacré à la réinsertion des personnes détenues, 46 % des peines en cours d'exécution sont de moins d'un an. Si les courtes peines de prison ostracisent, et, souvent radicalisent les petits délinquants, les alternatives aux poursuites sont un marchepied vers la réinsertion ; elles mettent la responsabilité individuelle au centre de la démarche.
Aussi, nous saluons ce budget historique et ses orientations. Je souhaite maintenant vous interroger, monsieur le garde des sceaux, sur les délégués du procureur et sur le travail d'intérêt général – TIG.
Je note que 200 millions d'euros sont consacrés à la justice de proximité. En commission, vous avez indiqué que 28 millions d'euros seraient alloués aux services de magistrats à titre temporaire, de magistrats à titre honoraire et de délégués du procureur. Cela élèverait à 3 000 leur nombre total, et augmenterait le nombre de vacations qu'ils pourraient exercer. Combien y aura-t-il de délégués du procureur supplémentaires ? Comptez-vous leur donner de nouvelles compétences ? Le cas échéant, si, comme j'ai pu le lire dans la presse, vous comptez rendre obligatoire leur formation initiale par l'École nationale de la magistrature, quelles en seraient les modalités ?
Après les alternatives aux poursuites, les peines alternatives sont au coeur des dispositifs de justice de proximité : 17 millions d'euros seront ainsi consacrés aux méthodes permettant d'accélérer et de diversifier la réponse pénale. Quel budget sera spécifiquement alloué aux travaux d'intérêt général ? En 2016, ces derniers ne représentaient que 6 % des peines prononcées sur le territoire national. La loi du 23 mars 2019 a considérablement facilité le prononcé de ces mesures. Disposez-vous de chiffres permettant d'en évaluer les effets en matière de prononcé et d'exécution ?
Je vous remercie d'avance, monsieur le garde des sceaux, pour les réponses que vous m'apporterez. Le groupe Agir ensemble votera bien évidemment – et avec enthousiasme – les crédits de cette mission. Pour terminer, je vous adresserai ces mots de Marc Aurèle : « Que la force [vous] soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l'être, mais aussi la sagesse de distinguer l'un de l'autre. »