Ce projet de loi de finances et sa mission « Outre-mer » sont les derniers de plein exercice pour votre majorité. Avant d'aborder ce quatrième budget, l'exercice mérite un premier bilan qui, s'il ne vous est pas imputable à titre personnel, monsieur le ministre, vous est imputable au titre de la solidarité gouvernementale.
Votre majorité étant aux responsabilités depuis 2017, c'est l'occasion de faire un premier bilan, eu égard aux engagements du Président de la République pour les outre-mer. D'ores et déjà, je peux dire qu'à notre avis, le compte n'y est pas : le bilan est décevant pour les 2,2 millions de Français ultramarins.
Vous n'êtes pas responsable de tout, monsieur le ministre, notamment des maux structurels déjà présents bien avant votre arrivée. Entre-temps, certains événements exogènes, si je puis dire, sont intervenus : le mouvement des gilets jaunes, la crise sanitaire actuelle dont nous n'avons pas encore levé les incertitudes, et même l'ouragan Irma, qui a touché un certain nombre d'îles.
À votre charge, monsieur le ministre, je retiens que nous avons été les victimes de Bercy, ce qui nous a donné le sentiment de n'être devenus qu'une variable budgétaire.
L'un des objectifs du programme présidentiel était « de soutenir l'activité et l'emploi dans les outre-mer pour lutter contre le chômage et l'exclusion ». Résultat : après des assises et un livre bleu reprenant des problématiques déjà connues, nous avons vu arriver en 2019, sans concertation, une réforme des aides économiques et d'autres dispositifs.
Malgré des budgets affichés en hausse, il ressort des sous-consommations record en 2019 : 49 millions d'euros pour la mission « Outre-mer » et plus de 2,7 milliards d'euros pour l'effort global de l'État.
Dès lors, nous basculons d'une solidarité nationale à une solidarité ultramarine. Rappelons qu'à ce jour, aucune estimation précise n'existe sur la réforme des aides économiques. Preuve en est que, deux ans plus tard, plus de 1,6 milliard d'euros sont encore non répartis dans le programme 138. On est en droit de s'interroger sur la sincérité des crédits de la mission « Outre-mer ».
Le programme présidentiel prévoyait aussi de renégocier, au sein de l'Union européenne, pour mieux prendre en compte les spécificités de nos territoires ultramarins.
Nos filières agricoles sont actuellement en danger. La diversification annoncée par le Président de la République, lors de son passage à La Réunion à l'automne dernier, est en péril – je fais ici référence au programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité – POSEI – et au fonds d'action de 45 millions d'euros que vous savez insuffisants.
L'objectif de continuer à développer une production locale pour tendre vers une autonomie alimentaire est désormais remis en cause, ce qui provoque une grande inquiétude dans les filières professionnelles.
Je ne reviens pas sur le fonds exceptionnel d'investissement – FEI – qui, chaque année, impressionne par ses montants mais qui déçoit par son niveau de réalisation : 110 millions d'euros d'autorisations d'engagement mais seulement 47 millions d'euros de crédits effectivement dépensés en 2019. Nos collectivités seraient-elles incapables de répondre aux cahiers des charges ? Étaient-elles freinées par les accords de Cahors ?
Et que dire du plan logement outre-mer 2019-2020 ? Encore peu visibles, la suppression de l'aide à l'accession et la baisse de la LBU ont fait beaucoup de mal. Le plan logement doit répondre à l'urgence de loger nos familles dans de l'habitat décent et accessible, mais aussi à celle de relancer le secteur du BTP, grand pourvoyeur d'emplois, qui vit ses deux pires années de la décennie. Nous saluons bien sûr l'augmentation des crédits de la ligne budgétaire dédiée au logement.
J'en viens aux contrats de convergence prévus par la loi sur l'égalité réelle outre-mer. Déjà déçus par une grande partie de leur contenu, nous trouvons encore moins tolérable que les prévisions d'exécution de ces contrats soient à la fin 2020, c'est-à-dire à mi-parcours, de seulement 278 millions en autorisations d'engagement et 163 millions d'euros en crédits de paiement sur plus de 1,7 milliard de crédits contractualisés.
Au regard de ces chiffres, je vous demande, mes chers collègues, de soutenir la proposition que je fais au nom du groupe Socialistes et apparentés : la création d'une mission sur la mise en oeuvre des contrats de convergence.
Derrière tous ces tableaux, toutes ces pages, toute cette comptabilité, ces montants du document de politique transversale – DPT – et de la mission « Outre-mer » qui s'évaporent d'un vote à l'autre, qui tardent à être dépensés, c'est le quotidien des millions de Français de nos territoires qui est en jeu.
En plus du logement, de l'alimentation et des aides économiques, je pense aussi aux moyens destinés à lutter contre les violences faites aux femmes, la consommation abusive d'alcool, la dengue qui sévit sur beaucoup de nos territoires. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur les critères de calcul des pensions de réversion, les retraites agricoles ou la cherté de la vie.
Sur bien d'autres sujets encore, pour lesquels nous avons pu interpeller les ministres en charge, ainsi que sur ces questions soulevées depuis maintenant plusieurs années, jamais les réponses apportées n'ont été réellement à la hauteur de nos attentes.
Enfin, n'oublions pas nos entreprises ultramarines qui, selon que le territoire a été confiné ou pas, ne bénéficient pas des mêmes aides qu'au niveau national. Or le retour des motifs impérieux confine le tourisme et ralentit le fret, avec un risque pour les coûts d'approvisionnement à une période importante de l'année.
Les modalités des plans d'urgence et de relance doivent donc être adaptées au plus vite, comme je vous l'ai écrit vendredi dernier. Monsieur le ministre, sans vouloir être alarmiste, l'heure est à la déception. Ne laissez pas cette déception se transformer en colère.
Pour toutes les raisons évoquées, le groupe Socialistes et apparentés s'abstiendra sur les crédits de la mission « Outre-mer » pour 2021.