Dans le contexte particulièrement préoccupant de l'épidémie de la covid-19, j'ai choisi de m'intéresser cette année à la question de la santé des personnes retenues au sein des centres de rétention administrative. Pendant le premier confinement, dix des vingt et un CRA ont poursuivi leur activité dans le cadre d'un protocole sanitaire strict et avec l'autorisation du Conseil d'État, saisi deux fois en référé à ce sujet. Après le déconfinement, l'ensemble des CRA ont repris leur activité, mais à un rythme beaucoup plus réduit par rapport à l'année dernière. À ma connaissance, depuis le début de la crise épidémique, vingt-deux personnes retenues ont été testés positives à la covid-19. Peut-être avez-vous, madame la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, de nouvelles informations à nous communiquer sur ce point. Et quelles sont les mesures mises en place depuis le nouveau confinement ? J'aimerais également savoir pourquoi les CRA, dans le contexte épidémique actuel, sont occupés à 40 %, taux mentionné par mon collègue. Bien évidemment, si ce contexte a un impact certain sur la question de la santé en rétention, il a surtout un effet loupe en ce qu'il aggrave les difficultés récurrentes qui font obstacle à une prise en charge sanitaire pleinement satisfaisante des personnes retenues au sein des CRA.
D'un point de vue strictement budgétaire, l'évolution des crédits est à la hausse : le renforcement de la politique du Gouvernement en matière d'éloignement s'est en effet accompagné d'une augmentation des crédits consacrés à la prise en charge sanitaire, qui atteignent 10,6 millions d'euros dans le présent projet de loi de finances. L'enjeu sanitaire ne saurait cependant être analysé sous le seul prisme budgétaire. Qu'il s'agisse des alertes émises par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, par le Défenseur des droits ou par les associations intervenant en centre de rétention, toutes montrent que les griefs formulés envers les modalités de prise en charge des personnes malades dans les CRA sont nombreux et récurrents. Au cours de mes travaux, j'ai découvert que l'organisation de leurs unités médicales, les UMCRA, était fondée sur une circulaire de 1999, plus du tout adaptée à la situation actuelle de la rétention. De plus, on y observe une forte disparité financière qui peut aller du simple au quadruple, et une prise en charge sanitaire insuffisamment harmonisée. Un groupe de travail sur la question existe… depuis plus de dix ans. La circulaire de 1999 a finalement été abrogée en 2017, mais elle sert toujours de référence, puisque le texte appelé à la remplacer n'a toujours pas été publié. Lors de l'examen en commission des lois des crédits de la mission, le Gouvernement s'est d'ailleurs engagé à ce que cette publication intervienne au début de l'année 2021, ce dont je me félicite.
J'explique dans mon rapport pour avis qu'en l'absence d'étude épidémiologique menée en CRA, le seul indicateur permettant d'identifier les principales pathologies se trouve dans l'analyse des demandes, pour raisons médicales, de protection contre l'éloignement formulées par les personnes retenues : en 2019, l'Office français de l'immigration et de l'intégration a été saisi de demandes principalement fondées sur des troubles mentaux et du comportement, ainsi que sur des maladies infectieuses ou parasitaires. Je souhaite en effet vous alerter, madame la ministre, sur l'état de santé mental des personnes retenues car il est devenu un vif sujet de préoccupation, surtout dans un contexte d'allongement de la durée de rétention et de l'augmentation du taux moyen d'occupation des centres.
Tensions, automutilations et violences sont de plus en plus pesantes et, bien sûr, préjudiciables aux personnes retenues comme aux prestataires présents sur place et aux fonctionnaires de police. Depuis 2020, des psychologues ont été déployés dans les CRA, à l'initiative de cette majorité et des rapporteurs spéciaux concernés, que je salue pour cela, mais je dois vous alerter sur le fait que ce déploiement reste modeste et non uniforme et que, surtout, il ne permet pas une prise en charge médicale et donc psychiatrique des personnes alors que leurs troubles mentaux sont parfois très importants. Il est donc nécessaire que des conventions soient signées entre les UMCRA et les établissements de santé mentale afin que soient organisées dans les CRA leur prise en charge et leur suivi psychiatriques.
Le constat que je viens de dresser n'est pas récent : il y a vingt ans exactement, Louis Mermaz, alors député, présentait les centres de rétention administrative comme des lieux aux frontières de l'humanité. Les conclusions à en tirer sont plus urgentes que jamais étant donné bien évidemment le contexte de la crise épidémique et le fait que le Gouvernement ait réaffirmé sa volonté d'exécuter les obligations de quitter le territoire français, ou OQTF. Si on comprend bien la nécessité d'appliquer ces dernières, encore faut-il que les conditions de rétention soient à la hauteur de notre État de droit.