Intervention de Bertrand Pancher

Séance en hémicycle du jeudi 5 novembre 2020 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2021 — Immigration asile et intégration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Pancher :

La mission « Immigration, asile et intégration » connaît une hausse de 2 % de ses crédits par rapport à 2020. Cette évolution est principalement due à l'actualisation des besoins, comme en matière d'allocation unique aux demandeurs d'asile, et à la création nécessaire de places en centres provisoires d'hébergement. Les crédits du programme 303 « Immigration et asile » augmentent de 2,5 %, avec trois objectifs : optimiser la prise en charge des demandeurs d'asile, réduire les délais de traitement des demandes d'asile et améliorer l'efficacité de la lutte contre l'immigration irrégulière. S'agissant du premier objectif, force est de constater que nous courons toujours après les règles que nous nous sommes fixées, en raison d'un manque de moyens, notamment dans les préfectures.

Or, les délais actuels sont inhumains. La réduction à six mois en moyenne des délais de traitement des demandes d'asile par l'OFPRA – Office français de protection des réfugiés et apatrides – , puis par la Cour nationale du droit d'asile, peut apparaître comme un progrès. Toutefois, nous voulons dénoncer avec force qu'entre le dépôt de leur demande et la décision définitive, les personnes réfugiées ne disposent d'aucun droit, notamment celui de travailler, de sorte qu'elles sont incapables de subvenir à leurs besoins, d'autant que les hébergements manquent – sauf à travailler dans l'illégalité et à se faire exploiter, rejoignant ainsi le cortège des victimes des procédures de Dublin. Utilisons le mot : il s'agit d'une forme moderne d'esclavage. Tant de migrants vivent une privation des droits fondamentaux, comme celui d'être protégés par la justice, de peur d'être identifiés ou expulsés ; que de témoignages de violences, de drames ; que de larmes et de vies définitivement brisées !

S'agissant de la lutte contre l'immigration irrégulière, les flux ont diminué en raison de la pandémie. Les centres de rétention ne sont pas pleinement occupés, et les retours sont limités à certains pays. Les délais de rétention sont évidemment affectés par les difficultés de retour, de nombreux pays refusant par ailleurs d'accueillir leurs ressortissants en raison de la pandémie.

Le budget du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » est stable, trop stable, comme l'a excellemment dit le président Lagarde. Chaque année, environ 100 000 étrangers issus des pays extra-européens arrivent en France régulièrement ; ils souhaitent s'y installer durablement, et signent leur contrat d'intégration républicaine.

Vous l'avez compris, une simple lecture du budget ne permet pas d'appréhender toutes les dimensions de l'asile et de l'immigration. Il manque toujours la dimension humaine, que nous donnent à mesurer les parcours harassants que doivent emprunter celles et ceux qui s'inscrivent pourtant dans le cadre légal que nous avons défini. Ce budget, ce n'est pas nouveau, tend à faire de la politique d'asile et d'immigration un instrument de la politique migratoire qui comporte un volet de dépenses publiques, en particulier le dispositif d'allocation pour demandeurs d'asile. Nous sommes ainsi sommés d'infléchir certaines politiques publiques pour rendre la France moins attractive et réduire le nombre d'étrangers qui arrivent dans notre pays, quelle qu'en soit la cause. Telle n'est pas la réalité de l'immigration, et nous le savons tous. Ériger des murs sur le fondement de dispositifs plus contraignants n'est pas la solution.

La politique du « en même temps » nous est présentée comme un appel à plus d'humanité et de fermeté. Cela voudrait dire par exemple moins de rétention, mais dans de meilleures conditions ; moins de rétention, parce que la France reste l'État membre de l'Union européenne qui enferme le plus, avec des délais de rétention encore trop long. Certes, le projet de loi de finances pour 2021 prévoit des hausses de dépenses d'investissements immobiliers, notamment en crédits de paiement, et des places supplémentaires en centres de rétention administrative pour les années 2018-2021. Sur le papier, tout cela est encourageant, mais, dans la réalité, nous savons pertinemment que ces crédits sont insuffisants, d'année en année. Faire preuve de plus d'humanité et de fermeté supposerait aussi que nous renforcions les capacités d'hébergement des demandeurs d'asile. Seuls 50 % d'entre eux sont hébergés. Le Président de la République voulait être le président qui ne laisserait plus personne dormir dans la rue, avant la fin de la première année du quinquennat. Ce sont eux qui sont hébergés dans la rue ; cela suppose de créer chaque année des capacités d'hébergement supplémentaires. Ils sont l'insupportable illustration de notre incapacité à conduire une politique d'hébergement à la hauteur, et posent de réels problèmes de légalité, de sécurité et d'hygiène.

Pour conclure, madame la ministre déléguée, la philosophie de votre budget paraît éloignée de ce que doit être une véritable politique d'immigration, d'asile et d'intégration. Au-delà de toute instrumentalisation de la question, de quelque bord que ce soit, nous estimons que les efforts budgétaires doivent être à la hauteur des défis imposés. Faute de trouver que les chiffres soient en adéquation avec les objectifs, le groupe Libertés et territoires ne votera pas les crédits de cette mission budgétaire.

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