Si le second confinement dans lequel nous sommes entrés se justifie d'un point de vue sanitaire, nous savons qu'il accélérera et amplifiera la vague des défaillances d'entreprises et des plans sociaux au cours des prochaines semaines et des prochains mois. Après la peur qu'inspire l'épidémie, les principales inquiétudes de nos concitoyens concernent l'emploi et le travail.
Certains indicateurs démontrent que ces peurs sont fondées. Après un rebond artificiel de l'économie, les perspectives d'évolution du taux de chômage sont sombres pour cette fin d'année. Autre indicateur : la hausse de 10 % des dépenses au titre du RSA. L'Unédic prévoit l'indemnisation, fin 2020, de 420 000 demandeurs d'emploi supplémentaires par rapport à la fin 2019, du fait de la destruction de 670 000 emplois salariés.
Il est donc peu de dire que le soutien à l'emploi doit être une priorité, avec une attention particulière à porter aux plus précaires, aux plus fragiles et aux jeunes. Or cette crise est intervenue alors que le Gouvernement avait procédé à une réforme de l'assurance chômage sans accord des partenaires sociaux. Notre groupe était opposé à cette réforme par temps calme ; il l'est d'autant plus en pleine tempête.
La première suspension de la réforme était bienvenue, mais il aurait fallu qu'elle soit totale, qu'elle prévoie le rechargement des droits et qu'elle concerne également les personnes ayant perdu leur emploi entre novembre 2019 et août 2020. Un deuxième report a été décidé, jusqu'au 1er avril 2021 : soit. Mais comme la crise sanitaire, la crise économique va durer. Madame la ministre, pourquoi ne pas abandonner définitivement cette réforme ?
Nous ne doutons pas de votre objectif – diminuer, notamment, la part des contrats courts – , mais nous ne partageons pas votre méthode, encore moins compte tenu du contexte. Cette réforme aura des conséquences néfastes pour les travailleurs exerçant une activité discontinue comme les intermédiaires ou les saisonniers ; or ils sont aujourd'hui les plus pénalisés par la crise.
C'est la raison pour laquelle nous avons demandé que soient prorogés les droits aux allocations chômage des travailleurs saisonniers qui n'ont pas suffisamment travaillé ou qui n'ont pas pu signer de contrat de travail. Cependant, il faudra aller plus loin. Les enjeux de l'emploi et du travail débordent du cadre de cette mission.
J'en reviens aux crédits de la mission, précisément : nous saluons leur augmentation de plus de 434 millions d'euros, qui porte leur total à plus de 13 milliards. Comme l'an dernier, la principale hausse concerne le plan d'investissement dans les compétences. Nous vous retrouverons dans le soutien à la formation et dans le plan de relance en faveur de l'apprentissage.
En dépit de ces efforts, nous devons néanmoins constater que la crise sanitaire a affecté ces dispositifs. Exemple : l'accueil physique des stagiaires dans les organismes de formation et dans les centres de formation d'apprentis – CFA – a été suspendu pendant le premier confinement. Alors que le deuxième confinement débute, nous nous inquiétons donc des offres faites aux personnes en stage et en formation, ainsi que de leurs conditions d'accueil.
Surtout, une incertitude demeure quant à la réforme de la formation professionnelle enclenchée par votre prédécesseur, madame la ministre. Si les effets sont positifs en termes d'emploi et de croissance, l'Inspection générale des affaires sociales – IGAS – et l'Inspection des finances – IGF – estiment en revanche, dans leur rapport publié en septembre, qu'il manquerait 4,9 milliards d'euros pour la période 2020-2023. Il faut trouver des financements pour combler ces manques afin d'assurer la pérennité de cette réforme. Or votre projet de budget ne prévoit que d'octroyer à France compétences une subvention de 750 millions d'euros ; c'est nettement insuffisant.
Au-delà de la formation, le groupe Libertés et territoires est partagé sur l'avenir de l'expérimentation des territoires zéro chômeur de longue durée, non pas pour l'intérêt qu'elle présente mais parce qu'il est proposé de l'étendre à au moins soixante territoires. C'est certes une avancée mais, dans ce cas, la participation de l'État prévue pour 2021 n'est pas suffisante. Elle s'établira à 14 800 euros par emploi contre 16 200 euros en 2020, ce qui aura bien entendu comme conséquence de rehausser la contribution des départements, dont les capacités de financement sont déjà affaiblies.
Enfin, notre groupe s'inquiète de la réduction d'environ 500 ETP des effectifs du ministère et des opérateurs, réduction qui touche notamment Pôle emploi malgré l'augmentation de ses effectifs dans le plan de relance. Nous craignons que cette hausse ne soit que temporaire, alors que la crise durable à venir nous invite à proposer des accompagnements pérennes et renforcés.
Compte tenu de toutes ces incertitudes, le groupe Libertés et territoires s'abstiendra de voter sur les crédits de cette mission.