La mère de Vincent vient de partir en préretraite, à 55 ans. Elle travaillait à l'hôpital Saint-Victor, où son fils n'a jamais mis les pieds. Elle disparaissait le soir, réapparaissait le matin ou l'après-midi pour quelques heures après l'école. Que faisait-elle à l'hôpital ? Il a fallu que Vincent attende le dernier jour, les dernières heures, le pot de départ, pour l'accompagner dans son service longs séjours et en rapporter dans sa tête quelques images.
C'est ainsi que, sur les murs de nos maisons, les photographies offrent presque une version inversée du réel – comme si nous passions notre temps à des repas d'anniversaire ou au bord de la plage, en rang d'oignon devant le Mont-Saint-Michel. C'est l'exceptionnel qui est représenté, quand l'ordinaire, notamment l'ordinaire du travail, est effacé.
D'où ma proposition politique. J'aimerais que l'État embauche 5 000 photographes publics, qui se chargeraient de suivre durant toute une journée les camionneurs, les caissières, les comptables, les greffiers, les jardiniers, les éboueurs. Ils leur remettraient un album à rapporter chez eux pour montrer à leur famille à quoi ressemble ce pan de leur vie, au lieu de le cacher comme si c'était une honte.
On peut dire que c'est un amendement original mais, pendant la crise de 1929, Roosevelt avait créé ces emplois de photographes, lesquels étaient allés photographier, notamment, les familles pauvres du Sud – c'était un programme de l'Administration de sécurité des fermiers.
Par toute cette série d'amendements, je veux vous dire, madame la ministre, madame la rapporteure spéciale, que vous devez inventer et faire accoucher le monde de demain. On ne peut pas en rester à la routine : il faut avancer. Ces amendements d'appel sont autant d'appels à inventer, à accoucher un monde.