Cela ne fait désormais plus aucun doute : les secteurs de la culture seront parmi les plus fragilisés par la crise sanitaire et ses répercussions, et ils souffriront pour longtemps de ses conséquences désastreuses.
Le confinement du printemps a déjà causé des dommages quasi irréversibles. La filière économique du patrimoine et de l'architecture enregistre une perte de chiffre d'affaires massive de 30 % sur l'année 2020.
Pour le secteur de la création artistique, les pertes s'élèvent à plus de 7 milliards d'euros du fait de la fermeture des salles de spectacle et des lieux d'exposition, de l'annulation des tournées, des festivals, des foires et des salons, et de l'arrêt des commandes artistiques. Il faut affronter la réalité : certains acteurs ne se relèveront pas de ce nouveau confinement, surtout s'il devait durer.
Faute de moyens humains et matériels, la politique de dépistage mise en place lors du déconfinement, « tester-tracer-isoler », a échoué. Elle s'est caractérisée par des protocoles de tests non harmonisés et inadaptés, une absence de priorisation, un manque d'intervention et de suivi social sur le terrain ; en outre, des expériences pilotes telles que celle menée par l'épidémiologiste Renaud Piarroux, riche de son expérience de la gestion des épidémies, n'ont pas été généralisées. On a privilégié le quantitatif et l'effet d'annonce sur le qualitatif et les interventions de terrain inspirées de ce qui a fonctionné ailleurs.
Le personnel de la sécurité sociale arrive à saturation. La situation sanitaire s'aggrave, nous le savons bien, et les risques de tensions sur le système de santé s'accentuent. L'équilibre que l'on a voulu conserver entre économique et sanitaire ne tiendra pas la route.
Le risque d'un jour sans fin pour les acteurs de la culture est désormais bien présent dans tous les esprits. Dans un tel contexte, les crédits de la mission « Culture » sont forcément attendus, aussi bien pour faire face à l'urgence que pour préparer l'avenir. La culture a besoin de temps long.
Les crédits sont certes en augmentation, après transferts, de 138 millions d'euros par rapport à 2020. Nous saluons cette hausse d'environ 4,5 %. Ils s'ajoutent aux mesures d'urgence prises depuis le début de la crise, ainsi qu'à celles du plan de relance. Le groupe Libertés et territoires souhaitait saluer les initiatives prises par le Gouvernement, mais nous savons maintenant que ces dernières ne seront pas à la hauteur ni de l'urgence ni de la relance nécessaire, alors que la reprise que nous souhaitons toutes et tous s'éloigne jour après jour.
Relevons néanmoins tout d'abord les efforts réalisés. Un effort très important a été consenti à l'égard du programme « Patrimoines », qui atteindra plus de 1 milliard d'euros. Le plan de relance, lui, consacre au patrimoine 345 millions d'euros en crédits de paiement en 2021.
Nous incitons néanmoins le Gouvernement, comme nous l'avons fait l'an dernier, à accentuer le soutien en faveur des patrimoines de toutes tailles, et dans tous les territoires. Nous regrettons encore trop souvent que les grands projets les plus visibles soient toujours les premiers bénéficiaires. À ce titre, la restauration du château de Villers-Cotterêts et le projet dans son ensemble apparaissent disproportionnés, à un moment où chacun est invité à revoir ses ambitions à la baisse.
Nous saluons bien sûr l'effort réalisé s'agissant du programme « Création » : il consiste en un accroissement de 37 millions d'euros, qui s'ajoutent aux aides inscrites dans le plan de relance. Mais il comporte des oublis notoires, d'autant que plus le temps de la crise sera long, plus l'amont de la chaîne sera en danger. En l'occurrence, nous appelons vivement à augmenter les moyens destinés aux créateurs et aux producteurs. Nous proposerons un amendement visant à abonder les nouvelles actions que vous avez créées – les actions 01 et 02 du programme 131 – de 10 millions d'euros supplémentaires pour les acteurs du spectacle vivant et de 5 millions d'euros supplémentaires pour les arts visuels.
La filière en aval subit elle aussi le choc de plein fouet. L'objectif d'augmenter la fréquentation du public dans les lieux culturels est totalement remis en cause par la crise sanitaire. Lors de l'examen du PLFR 3, nous avions proposé une aide à l'équipement des salles pour la captation de spectacles vivants, permettant de conjuguer présence physique et distanciée. Il nous paraît essentiel de poursuivre dans cette voie, car cette solution permet à la fois de répondre à l'urgence – la diffusion de spectacles en dépit des fermetures ou des mesures de distanciation physique – et, au-delà de la crise sanitaire, de favoriser le renouvellement du public et la réduction des fractures.
Nous réitérerons cette proposition lors de l'examen du PLFR 4, car il faut aider les salles à s'équiper. Beaucoup n'ont pas les capacités d'investissements nécessaires, mais si elles ne s'équipent pas dès maintenant, elles ne seront pas opérationnelles à temps.
Enfin, le programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » sera porté à 590 millions d'euros. Malheureusement, l'une des principales actions financées est celle du pass culture. Or, malgré les engagements des ministres de la culture successifs et malgré nos demandes de rapport, aucune évaluation indépendante n'a été présentée ni même réalisée sur ce qui reste toujours une expérimentation.
Depuis 2018, nous reconduisons chaque année des crédits importants pour le pass culture : 5 millions d'euros pour sa préfiguration, 34 millions en 2019, 10 millions de plus en 2020, et encore 20 millions supplémentaires en 2021 – oui, 20 millions d'euros ! À quoi vont-ils servir, particulièrement en période de confinement ? Sans recul, il ne nous paraît pas pertinent d'attribuer des financements aussi importants à un dispositif qui, par son essence même, n'a jamais réussi à atteindre ses objectifs de départ, à savoir l'accès à la culture pour tous et la réduction des fractures culturelles, quelles qu'elles soient.
Le groupe Libertés et territoires estimait que les crédits de la mission « Culture » constituaient une première étape positive ; nous avions donc l'intention de les voter. Mais, du fait de l'ampleur de la crise sanitaire et de sa durée, nous savons d'ores et déjà qu'ils risquent d'être insuffisants et, pour certains, injustement répartis. De ce fait, nous nous abstiendrons.