L'année 2020, qui devait être déterminante pour les médias et les industries culturelles, aura finalement été synonyme d'espoirs déçus et de rendez-vous manqués, amplifiés par la crise sanitaire et ses conséquences inquiétantes. Certes, le budget de cette mission traduit un effort vers les secteurs des médias, du livre et des industries culturelles, mais les 4,8 % d'augmentation que prévoit le PLF pour 2021 risquent de ne pas être à la hauteur des enjeux, colossaux.
Les enjeux relatifs à la réforme de ce secteur, si réforme il y a, sont lourds et mériteraient un débat au Parlement. Je pense notamment à la régulation du marché numérique, dont les bénéfices ont explosé au profit des grandes plateformes et dont la puissance conduit au bouleversement du paysage audiovisuel, ou encore à la lutte contre le piratage, qui n'a pas encore les moyens de ses ambitions – HADOPI, la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet, est-il l'outil dont nous avons besoin ?
Nous notons, dans le programme 180, que les augmentations budgétaires nécessaires sont consenties pour soutenir la presse et les médias, et nous soulignons le financement d'un plan de filière pour la presse papier, en grande difficulté – édition, distribution et vente sont affectées par une crise structurelle encore aggravée par la crise sanitaire. Si donc nous voulons défendre le pluralisme, essentiel à notre démocratie, il faut donner aux budgets le poids nécessaire, que ce soit par les aides au portage ou par celles dirigées vers les publications nationales et générales, vers les quotidiens et la presse locale et vers la presse ultramarine, ainsi que par toutes les aides à la modernisation et à l'innovation.
Le monde de la musique, dans sa diversité, compte sur le CNM – Centre national de la musique – pour le soutenir et porter ses combats ; les artistes comptent sur vous, madame la ministre.
Un autre secteur majeur, celui du livre, plébiscité durant la période de confinement et qui fait l'objet d'une attention particulière de la part des Français, doit être soutenu de manière plus affirmée. Les libraires, comme tous les auteurs et les éditeurs, subissent une rude concurrence. Nous apprécions la mesure que vous avez prise consistant à prendre en charge une partie des frais d'envoi ; nous l'avions proposée dans un amendement, et nous espérons qu'elle bénéficiera aussi aux petits éditeurs.
Le livre est évidemment une industrie, mais il est surtout un enjeu majeur de lutte contre l'illettrisme et contre l'illectronisme, et un investissement dans l'intelligence collective – « lire mieux et lire plus », comme le proposait Erik Orsenna. Ce n'est pas une mince affaire pour les collectivités que de lutter contre les ruptures d'accès sur les territoires : elles le font en renforçant grâce aux crédits déconcentrés le soutien aux ressources numériques, mais aussi en structurant et en créant de nouveaux réseaux de bibliothèques, dont la fréquentation doit être encouragée et favorisée. L'objectif d'élargissement des jours et horaires d'ouverture est, en ce sens, à saluer, mais les 2 millions d'euros supplémentaires ajoutés au programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » de la mission « Culture » ne paraissent pas suffisants pour l'atteindre.
Les radios commerciales et associatives locales, qui, par leur rôle de médiation et de proximité, ont contribué à maintenir un lien avec nos concitoyens depuis le début de la crise, dans l'Hexagone et en outre-mer, font également face à une baisse constante de leurs recettes et se trouvent dans une très mauvaise passe. Elles sont environ 700 sur l'ensemble du territoire à développer des actions d'information et de solidarité. Il est important qu'un pourcentage de l'aide apportée par le ministère leur soit clairement consacré ; c'est le but d'un de nos amendements.
Vient ensuite le septième art, qui tente de résister malgré les mesures incohérentes prises à son égard – fermeture, réouverture, couvre-feu, puis de nouveau fermeture. Vous avez annoncé des mesures de soutien particulièrement bienvenues, car nous avons besoin d'un CNC bien armé pour permettre au cinéma français de résister à ce deuxième confinement.
Cela nous amène à la question majeure de la stratégie gouvernementale en matière d'audiovisuel public. La trajectoire de baisse constante que nous dénoncions déjà dans les budgets précédents se poursuit encore cette année ; elle est contre-productive. En effet, comment résister aux plateformes américaines, qui disposent de budgets et d'investissements colossaux – 1 milliard d'euros par exemple pour Netflix – , si nous ne soutenons pas en l'encourageant une production française de contenus de qualité, et en quantité suffisante ?
Alors que les recettes publicitaires sont en chute libre – la perte est estimée à 55 millions d'euros par rapport aux prévisions initiales – , et alors que la crise induit des coûts supplémentaires, l'audiovisuel public affiche des performances remarquables et des taux d'audience en hausse. Que ce soit France Télévisions, dont les productions de contenu se transforment pour correspondre à ses objectifs de proximité, d'inclusion et de production d'oeuvres originales, Radio France, dont les taux d'audience augmentent régulièrement, ou Arte, qui a gagné 23 % d'auditeurs en trois ans grâce à sa politique éditoriale ambitieuse, tous sont contraints de faire plus et mieux avec moins. La baisse du budget de 2,63 % pour l'audiovisuel public touche Radio France comme France Télévisions, qui se voit contraint de diminuer ses effectifs de 20 % d'ici janvier 2023, ce qui affecte aussi fortement le réseau régional de France 3, très apprécié des Français.
Vous avez défendu la stratégie du Gouvernement en répondant en commission sur la question des suppressions de France 4 et de France Ô. Permettez-moi de vous rappeler les chiffres du baromètre de la diversité, publiés par le CSA – Conseil supérieur de l'audiovisuel – en 2019 : en retirant France Ô du champ de l'indexation, les personnes résidant dans les départements et territoires d'outre-mer ne sont plus visibles qu'à hauteur de 0,4 %, alors qu'ils représentent 3,26 % de la population française. Ce chiffre est éloquent ; il montre que nous devons mettre en place davantage d'obligations légales contre toutes les discriminations et nous assurer d'une juste représentation des femmes et de la diversité dans l'audiovisuel public.
L'audiovisuel a besoin d'une politique ambitieuse pour atteindre tous les objectifs fixés, et nous ne soutenons évidemment pas la trajectoire que vous lui imposez. Nous ne voterons donc pas ces crédits.