La crise actuelle est inédite et l'aéronautique représenterait, à elle seule, 62 % des suppressions d'emploi dans l'industrie depuis janvier dernier. Je parle ici non seulement des fleurons nationaux, des puissants donneurs d'ordres au million d'emplois à travers l'Europe, mais aussi de la myriade de sous-traitants qui constituent notre tissu industriel, pourvoyeurs d'une innovation qui fait de la France un pays en pointe, et surtout l'un des derniers pourvoyeurs d'emplois dans des bassins de vie où le solde migratoire est négatif. Nous attendions du budget national des réponses à la hauteur de ces enjeux.
La presse, depuis de nombreux mois, énumère les plans de restructuration sur l'ensemble du territoire ; les TPE et PME du secteur aéronautique multiplient les tribunes et les appels au secours. Nous remettons donc tout autant en question les crédits annuels du programme « Industrie » que le plan conjoncturel de soutien à l'aéronautique pour une industrie verte et compétitive, dit « plan Aéro ».
Les personnes que j'ai reçues en audition m'ont alertée sur des évolutions menaçantes qui se dessinaient déjà pour la filière avant la crise, avec des stratégies dangereuses d'achat monosource extra-européennes de la part des donneurs d'ordres et des encouragements non voilés à délocaliser adressés à leurs sous-traitants. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance affiche la relocalisation comme étant l'une de ses priorités, ce que nous approuvons, mais qui n'est que difficilement traduite dans le budget de l'État. Des améliorations sont possibles : il est aberrant, de notre point de vue, que les copeaux d'un sous-traitant d'Airbus qui usine des pièces en titane soient envoyés aux États-Unis pour être recyclés alors que des entreprises peuvent le faire sur notre territoire.
Nous regrettons que le budget ne comporte aucune exigence vis-à-vis des donneurs d'ordres pour préserver les savoir-faire et les emplois nationaux. C'est pourtant une attente légitime à l'égard des principaux bénéficiaires du soutien public, puisque 2 milliards d'euros ont été engagés, sans compter les investissements massifs et continus de l'État depuis soixante ans, notamment en faveur de donneurs d'ordres comme Airbus. Celui-ci versait encore 1,3 milliard de dividendes à ses actionnaires pour l'exercice 2018.
Les crédits annuels en faveur de la compétitivité seront en croissance en 2021. Concrètement, cette hausse se traduit exclusivement par l'alourdissement de la compensation carbone ; il s'agit d'un poste de dépense important pour l'État, sans que le dispositif incite les entreprises à s'engager activement dans la transition énergétique. Toutes les autres actions sont au mieux stabilisées et la participation de l'État aux actions de développement économique poursuit le désengagement commencé il y a des années sous le prétexte des nouvelles responsabilités des régions. Les sommes engagées par la mission « Économie » ne contribuent pratiquement plus à l'accompagnement des TPE et PME via ces lignes budgétaires.
Le plan de soutien à l'aéronautique est annoncé à hauteur de 15 milliards d'euros. Un prêt de 7 milliards est alloué à Air France afin que la société assure l'achat de soixante nouveaux A 220, pour un montant de 4 milliards ; 3 milliards sont donc confiés à Air France pour passer la crise. Sur les 8 milliards restants, 6 sont des avances de trésorerie et non des fonds en tant que tels. Les fonds réellement débloqués pour le secteur s'élèvent donc à 2 milliards : les aides concrètes sont bien moins massives que celles annoncées.
Sur ces 2 milliards, 1,5 milliard est dévolu à l'avion vert, formule qui ne laisse pas de nous interroger. Un avion propulsé à l'hydrogène est-il seulement concevable à l'horizon 2035, alors que l'hydrogène est actuellement produit par une méthode plus émettrice de CO2 que le kérosène, et alors que le stockage à haute pression et la production par hydrolyse ne sont ni compétitifs ni totalement élaborés à cette heure pour une production de cette ampleur ? Par ailleurs, le ravitaillement et le stockage de l'hydrogène nécessitent la restructuration de tous les aéroports par lesquels ces avions transiteront, et la production d'électricité nécessaire pour l'électrolyse sera colossale : selon certains chercheurs, l'équivalent de seize réacteurs nucléaires serait nécessaire pour l'ensemble des avions atterrissant ou décollant à l'aéroport Charles-de-Gaulle. À moins d'un sursaut important dans la production d'énergies renouvelables, nous pouvons raisonnablement craindre que l'énergie nécessaire à l'hydrogène ne soit pas réellement verte, mais bas carbone, c'est-à-dire d'origine nucléaire.
Compte tenu de la diversité des trajectoires que nous prônons pour les technologies à venir, il convient de soutenir l'ensemble des innovations développées par les entreprises nationales. L'exécution pratique des mesures du plan Aéro est laissée aux mains des seuls grands groupes, qui cherchent toujours à comprimer davantage les coûts pour redistribuer les excédents à leurs actionnaires, en lieu et place d'une réelle stratégie industrielle dictée par la puissance publique, laquelle serait pourtant nécessaire à une planification écologique qui est essentielle.