Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du samedi 7 novembre 2020 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Pour la troisième fois en moins d'un an, le Gouvernement a recours à de graves restrictions en matière de droits et de libertés, qu'il justifie par la nécessité de juguler l'épidémie de covid-19. Passons sur le caractère odieux, voire obscène, de certaines admonestations qui, en instrumentalisant les malades et les morts, renversent les responsabilités pour accuser – parfois explicitement – les oppositions parlementaires et même les comportements individuels des citoyens et des citoyennes d'être les causes de l'échec de la réponse sanitaire, faisant silence sur les carences de la stratégie de l'exécutif. Passons… Mais répétons que nous avons toutes et tous ici comme dans le reste de la société à coeur de vaincre l'épidémie et de sauver des vies. Là où nous divergeons, c'est sur la stratégie et sur les moyens, mais ce n'est pas en soi problématique pour peu que nous sachions nous écouter plutôt que de nous caricaturer, et construire une unité d'action qui vaut mieux que contrainte au silence et à la soumission.

Depuis le mois de mars, notre pays est passé d'un état d'urgence sanitaire à un régime transitoire sans retour à la normalité démocratique puis, de nouveau, à un état d'urgence sanitaire. Entre la crise sanitaire et la menace permanente du terrorisme, l'accoutumance de la société aux états d'exception permanents semble aux députés du groupe La France insoumise problématique, et pas qu'à nous d'ailleurs et au-delà même des clivages politiques. Ces états d'exception sont non seulement inefficaces mais même contre-productifs. Ni le risque épidémique ni le danger terroriste ne sont des fatalités qu'on ne pourrait maîtriser d'une façon plus rationnelle et plus démocratique.

Nous ne voterons pas en faveur de ce projet de loi qui va octroyer à l'exécutif des pouvoirs exorbitants, ceux de régenter jusqu'au détail le plus intime et le plus fondamental de nos vies, du plus prosaïque – l'heure du repas et le comportement alimentaire – à la manière de se déplacer ou de prier. Nous ne le voterons pas parce que nous pensons qu'il y a une alternative à ce nouveau resserrement sécuritaire qui accentue le tournant autoritaire du régime.

Oui, il y a une alternative au confinement généralisé et à l'effondrement de notre système de santé sous le poids de l'épidémie mais aussi des contrecoups des politiques néolibérales poursuivies, y compris pendant la crise, par le Gouvernement. Ces politiques ont supprimé 69 000 lits entre 2003 et 2017 ; en 2018 et en 2019, respectivement 4 000 puis 3 400 lits d'hospitalisation complète ont été supprimés ; pour 2021, le Gouvernement prévoit encore 4 milliards d'économies sur les dépenses de santé.

L'alternative, c'est de changer de logique et de placer l'intérêt général et humain au coeur de l'organisation de la santé en France. Par exemple, pour que les soignants et les soignantes puissent travailler dans de bonnes conditions, Il faut d'abord procéder à de nombreux recrutements. En 2017 déjà, nous proposions de recruter 62 500 personnels de santé dans l'hôpital public. Il faut aussi significativement, et pas au compte-gouttes, augmenter la rémunération des personnels, comme le demandent des collectifs de soignants et de soignantes qui revendiquent une hausse de salaire de 300 euros.

Il y a une alternative à la destruction de tout le tissu économique, social et culturel qui fait la force et la vitalité de notre pays, des petits commerces aux grandes associations solidaires, dont la survie est aujourd'hui menacée. Cette alternative – a contrario d'une relance qui tente désespérément de sauver le monde d'avant, celui de la concurrence débridée et faussée, du productivisme effréné – consiste en un investissement massif dans un grand plan de bifurcation écologique et solidaire qui s'appuie sur ce maillage de TPE – très petites entreprises – et de PME – petites et moyennes entreprises – , d'associations et de collectifs de salariés et de citoyens pour élaborer et pour mettre en oeuvre des solutions aux problèmes quotidiens urgents mais aussi pour se préparer ensemble aux défis civilisationnels.

Il y a une alternative au recul des droits et libertés, au piétinement de l'État de droit au profit d'un État policier, aux campagnes politico-médiatiques de stigmatisation et de division qui désignent à la vindicte publique des catégories de la population et entretiennent un climat de peur, de haine et de guerre civile. Cette alternative se trouve dans le renforcement et non dans la restriction de la démocratie, de nos droits et de nos libertés, qu'il s'agisse de la démocratie parlementaire ou de la démocratie sanitaire, des droits économiques, politiques et sociaux, de l'accès à la protection sociale, au logement, à l'éducation et à la santé, du droit de disposer librement de son corps, du droit de croire ou de ne pas croire, d'exercer son culte comme sa liberté de conscience et de critique, du droit de se reposer et de se divertir pendant ces huit heures si durement arrachées après des siècles au labeur et à l'exploitation. Ces droits, ces libertés, ne sont pas un signe de faiblesse ou un simple supplément d'âme : je ne dépeins pas ici naïvement un monde idéal, mais des exigences existentielles fondamentales et des protections très concrètes, individuelles et collectives, qui se matérialisent notamment dans les services publics qui rendent ces droits réels et qui ont vocation à garantir l'idéal républicain de liberté, d'égalité et de fraternité.

Il y a une alternative, celle des causes et des batailles communes autour d'un bouclier social et sanitaire, autour de la bifurcation écologique et de la refondation démocratique. C'est l'alternative qu'avec d'autres, beaucoup d'autres, au-delà de nos rangs, ici et dans la société, nous travaillons à construire, …

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