Intervention de George Pau-Langevin

Séance en hémicycle du samedi 7 novembre 2020 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorge Pau-Langevin :

Depuis plusieurs semaines, nous examinons en urgence ce projet de loi relatif à la prorogation de l'état d'urgence sanitaire dans des conditions de travail délicates. Nous poursuivons depuis lors un dialogue de sourds, entre une opposition parlementaire volontariste, constructive et attentive au respect du Parlement et un gouvernement qui souhaite à tout prix imposer ses convictions, quitte à faire revoter une disposition adoptée mais contraire à sa volonté.

Nous acceptons de légiférer en urgence, de travailler plusieurs week-ends de suite ; telle est notre mission dans les circonstances exceptionnelles que connaît notre pays, mais nous aimerions que ce débat soit constructif. Nous voulions trouver un juste équilibre entre un arsenal législatif adéquat permettant au Gouvernement d'agir vite et bien et la création de garde-fous suffisants pour garantir les libertés publiques fondamentales, et le respect de la mission législative et du contrôle du Parlement. Il n'a jamais été question ici de discuter l'urgence et la gravité de la situation.

Vous nous parlez des morts et des personnes en réanimation, mais nous ne les avons jamais oubliés, nous n'avons jamais contesté la gravité de la situation, nous en sommes conscients : nous pouvons très bien comprendre la mise en oeuvre de l'état d'urgence sanitaire. En revanche, ce que nous disons c'est que certaines mesures prises dans le cadre de cet état d'urgence nous semblent de nature à être discutées, et ce pour leur conférer une plus grande légitimité démocratique.

Par exemple, nous n'avons pas demandé au Gouvernement de renoncer à légiférer par ordonnances mais nous avons souligné que le champ des habilitations était extrêmement large et le fait que, sur certains sujets, on ne comprenait pas la nécessité d'avoir recours à cette procédure. En nouvelle lecture, le Sénat a d'ailleurs maintenu les habilitations à légiférer par ordonnances pour les mesures qui le nécessitent : cela nous semble être de bonne politique. Mais le texte tel qu'il nous est soumis, après que l'Assemblée a voté des habilitations à tout va dans des domaines très larges, ne nous semble pas correspondre à un exercice normal du pouvoir législatif.

Vous nous demandez en fait une confiance aveugle, alors que nous avons bien vu, et ce n'est pas de votre faute, que vous tâtonnez, que vous ne savez pas très bien où vous allez. Nous demander une confiance aveugle dans ces conditions est quelque chose que nous ne pouvons comprendre. Par exemple, les ordonnances peuvent permettre une violation étonnante des droits élémentaires des travailleurs.

Nous avons eu des débats assez vifs sur les petits commerces, mais reconnaissez qu'il n'est pas compréhensible que ceux-ci soient traités comme ils le sont – vous demandez qu'ils soient fermés – , en contravention manifeste au principe d'équité entre commerçants. Vous parlez du fonds de solidarité, et c'est une bonne chose, mais la plupart de ces commerçants ne veulent pas être aidés, ils veulent d'abord travailler. Vous êtes en train de permettre aux grandes structures comme Amazon et Cdiscount de profiter de cette situation de concurrence inéquitable, ce qui revient à « gafaïser » notre économie.

Au mois de mai, nous avions mis en garde contre l'isolement des personnes âgées, qui allait créer des situations de détresse. Aujourd'hui nous vous appelons aussi à respecter le droit des petits commerçants à travailler. Il faut savoir que cette période de confinement crée des situations de détresse graves. Une étude récente de la fondation Jean-Jaurès a pointé que la crise sanitaire avait fortement accru les dépressions et les tentatives de suicide. Alors que 20 % des Français ont envisagé sérieusement la possibilité du suicide, c'est le cas de 25 % des commerçants et de 27 % des chômeurs, et parmi ceux qui l'ont envisagé il y a 42 % de tentatives. C'est ce que nous disons quand nous vous demandons de faire attention à nos compatriotes qui sont petits commerçants. Il ne faut pas que les gens meurent du covid mais attention à ce qu'ils ne meurent pas d'autre chose, de tristesse ou de solitude.

Nous avons essayé de vous sensibiliser, dans une opposition constructive et bienveillante. Nous avons tenté de faire en sorte que soit préservé l'équilibre entre protection sanitaire et respect des libertés et droits fondamentaux. Vous n'avez entendu aucune de nos préoccupations. C'est la raison pour laquelle le groupe Socialistes et apparentés devra s'opposer une nouvelle fois au projet de loi tel qu'il est présenté aujourd'hui.

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