La France n'a probablement jamais autant aspiré à recouvrer des libertés perdues ou concédées ; dans le même temps, elle aspire à être protégée et sécurisée, dans un contexte que chacun connaît. Nous voici donc confrontés à une terrible équation. C'est pourquoi le groupe Socialistes et apparentés a souhaité aborder ce texte en responsabilité. Je vais vous dire tranquillement en quoi il nous semble être un rendez-vous manqué.
Il n'est pas question pour nous de méconnaître le risque auquel peut être exposé un fonctionnaire de police dont le portrait diffusé sur les réseaux sociaux équivaut à une mise à prix. Il n'est pas non plus question pour nous de cautionner une dérive autoritaire que vos prédécesseurs n'ont jamais osé opérer.
Avant de m'attarder sur l'équilibre du texte, permettez-moi d'établir un constat : cette proposition de loi imprime définitivement sur ce quinquennat une marque sécuritaire, qui revient à enterrer pour toujours le fameux « ni droite, ni gauche ».
Il y a ensuite la forme. Avec une proposition de loi, vous esquivez l'avis du Conseil d'État et les enseignements d'une étude d'impact. Comment pouvez-vous priver la représentation nationale de tels éclairages ? Le président de notre assemblée aurait fait honneur au Parlement s'il avait saisi le Conseil d'État avant l'examen en commission, mais il n'en a rien été. Et comment justifier la procédure accélérée si ce n'est pas la volonté d'expédier un débat que vous redoutez ?
À quoi aurait pu ressembler un texte équilibré ?
D'abord, il aurait cherché à approfondir la démocratie. Vous auriez pu choisir comme fil rouge de cette proposition de loi les rapports entre police et population et exploiter toutes les pistes de nature à les apaiser. Vous auriez pu aussi tout simplement admettre en préambule que vivre sous le joug de l'état d'urgence sanitaire constitue déjà un terrible recul de nos libertés et qu'il convient de ne pas en rajouter quand on peut faire autrement.
Initialement, il était question d'une proposition de loi visant à conforter la police municipale dans ses prérogatives et à mieux encadrer les conditions d'exercice de la sécurité privée. Mais voilà que subitement, vous semblez surtout vouloir apaiser les forces de l'ordre par des gages exorbitants. Vous incluez images, drones, militaires et bien d'autres sujets majeurs et cela enflamme la profession de journaliste et suscite l'exaspération citoyenne.
Lorsqu'un texte est clair, précis, sans ambiguïté, ses inspirateurs le sont aussi dans leurs propos. Or il y a comme un hiatus entre les mots faussement rassurants des rapporteurs et ceux plus préoccupants de M. le ministre de l'intérieur. Pour les uns, rien ne change ou presque s'agissant du droit applicable aux images et à leur diffusion ; pour l'autre, c'en est fini des images de forces de l'ordre en opération. La seule chose dont on peut convenir, c'est que le floutage s'applique sans nul doute à votre discours.
Comment ne pas voir que vous tentez de mettre le couvercle sur les violences que subissent trop souvent nos concitoyens ? Que connaîtrait-on des violences infligées par les forces de l'ordre et même de celles dont elles sont l'objet si les journalistes n'avaient pas fait leur travail, en rapportant par des mots et des images ce qu'ils ont vu ?